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Une grande guerre byzantine en Géorgie
Gustave-Léon Schlumberger dans son Épopée byzantine à la fin du dixième siècle en trois volumes (1896-1905) raconte comment le dernier grand empereur byzantin Basile II le Bulgaroctone avant de mourir combattit en 1021 Georges Ier (Keorki Ier) "souverain pagratide des Aphkases" qui, pour récupérer la région de Tao s’était allié au caliphe fatimide du Caire contre Byzance. Le royaume d’Abkhazie et celui de Kartli s'étaient réunis quelques années plus tôt sous la houlette prudente de Bagrat III). Les Grecs crurent mourir de froid dans le Caucase et y eurent leur retraite de Russie, non sans y avoir commis beaucoup de massacres, aux dires de Samuel d’Ani, dans toute la portion du royaume d’Aphkasie sise au sud du Kour (ou la Koura) qui se jette dans la Caspienne, soit toute la Géorgie sauf la partie au nord de la rivière infranchissable. « Les dames nobles trainées sur les places publiques, la tête dépouillée de leur voile, furent exposées, dans une honteuse nudité, à la face du soleil », écrit Schlumberger citant Samuel d'Ani. « Celles qui, auparavant, pouvaient à peine trouver assez de forces pour visiter à pied les malades ou les lieux saints de pèlerinage, aujourd’hui tête et pieds nus, marchaient devant leurs vainqueurs insolents, privées de leurs parures, déshonorées, livrées à mille sortes d’outrages ». Les enfants furent exterminés. Les soldats russes de l'empire byzantin et les mercenaires étrangers furent particulièrement sanguinaires. Jamais depuis Justinien l’empire byzantin n’avait été aussi puissant. Mais dans les 30 ans qui allaient suivre la mort de Basile II en 1025 toute la grandeur de Constantinople allait s'effondrer.
L'Abkhazie antique
J'ai évoqué ici la prégnance de l'image des Argonautes chez les Ibères selon Tacite. Revenons d'un mot sur l'Abkhazie antique du temps où elle était la Colchide.
Du point de vue de la légende, dans le cadre de l'expédition des Argonautes, les Dioscures fondèrent une ville en Colchide, sur la mer Noire : Dioscurias (ou Iskouriah, Isgaur, Sebastopolis, aujourd'hui Soukhoumi), qui devint un grand centre commercial. Du point de vue historique Dioscurias était une vieille colonie milésienne, comme Phasis (Poti) en Mingrélie.
Voici ce que dit Strabon (qui est né sur la côte pontique de la Turquie actuelle) de la Colchide à l'époque d'Auguste :
"[Or la Colchide était à cette époque bien déchue de ce qu'elle avait été]. Dans les temps anciens, en effet, elle avait jeté le plus vif éclat, comme on en peut juger par ce que la Fable nous raconte ou plutôt nous laisse deviner de l'expédition de Jason poussée peut-être jusqu'en Médie et de l'expédition antérieure de Phrixus. Mais les rois successeurs de ces héros ayant divisé le pays en plusieurs skeptoukhies n'eurent plus qu'une médiocre puissance, et, quand survint le prodigieux accroissement des états de Mithridate Eupator, toute la Colchide y fut aisément absorbée. Seulement, Mithridate n'envoya jamais pour la gouverner et l'administrer qu'un de ses plus fidèles serviteurs et amis. C'est à ce titre, notamment, qu'il y avait envoyé Moapherne, oncle paternel de sa mère. De son côté la Colchide fut toujours le pays qui fournit le plus de ressources à ce prince pour l'entretien de ses forces navales. Mais, une fois Mithridate renversé, ses états se démembrèrent et furent partagés entre plusieurs princes. Le dernier qu'ait eu la Colchide est Polémon, et sa veuve Pythodoris qui a continué à régner se trouve aujourd'hui réunir à la fois sous son sceptre la Colchilde, Trapézûs, Pharnacie et certains pays barbares de l'intérieur dont nous parlerons plus loin.- La Moschike si célèbre par son temple [de Leucothée] forme trois régions distinctes occupées, la première, par les Colkhes, la seconde par des tribus Ibères, la troisième par des Arméniens. Le souvenir de Phrixus s'est conservé encore dans le nom d'une petite ville d'assiette assez forte qui est située en Ibérie sur les confins de la Colchide, nous voulons parler de Phrixipolis, plus connue actuellement sous le nom d'Ideessa.
19. Au nombre des peuples qui fréquentent l'emporium ou marché de Dioscurias figurent aussi les Phthirophages, ainsi nommés à cause de leur saleté et de la vermine qui les couvre. Leurs voisins, les Soanes, ne valent guère mieux qu'eux sous le rapport de la propreté, mais ils leur sont bien supérieurs en puissance ; on peut même dire qu'ils surpassent en force et en bravoure tous les autres peuples de ces contrées. Aussi exercent-ils une sorte de domination sur les tribus circonvoisines du haut des cimes escarpées du Caucase qu'ils occupent en arrière de Dioscurias. Ils ont pour les gouverner un roi assisté d'un conseil de trois cents guerriers et peuvent mettre sur pied, à ce qu'on assure, jusqu'à des armées de 200 000 hommes. Chez eux, en effet, tout le monde est soldat, [mais] sans pouvoir se plier à la discipline des armées régulières. Un autre fait qu'on nous donne pour certain, c'est que les torrents de leur pays roulent des paillettes d'or que ces Barbares recueillent à l'aide de vans percés de trous et de toisons à longue laine, circonstance qui aurait suggéré, dit-on, le mythe de la Toison d'or. [Quelques auteurs] prétendent aussi à ce propos que, si l'on a donné à un peuple du Caucase le même nom qu'aux peuples de l'extrême Occident, à savoir le nom d'Ibères, c'est parce que les deux pays se trouvent posséder des mines d'or. Les Soanes trempent la pointe de leurs flèches dans des poisons qui ont cela de particulier que leur odeur insupportable aggrave encore, s'il est possible, la blessure faite par les flèches ainsi préparées. En général, les peuples du Caucase voisins de la Colchide habitent des terres arides et de peu d'étendue ; toutefois les deux nations des Albani et des Ibères, qui à elles seules occupent l'isthme presque tout entier, et qu'on peut à la rigueur ranger aussi parmi les nations caucasiennes, se trouvent posséder une région fertile et capable de suffire amplement aux besoins d'une population nombreuse."
Plus tard au moment du déclin de l'empire romain (3e siècle de notre ère) extrait de La marine des Ptolémées et la marine des Romains. La marine marchande / par le vice-amiral Jurien de La Gravière -E. Plon, Nourrit et Cie (Paris)-1885
"Les limites des provinces romaines d'Asie, avaient été portées, depuis l'époque où Arrien côtoyait le littoral du Pont-Euxin, de Dioscurias à Pityus, "ville pourvue d'un port et défendue par une forte muraille". Procope compte deux jours de navigation entre Pityus et Dioscurias ; Muller reconnaît l'emplacement de Pityus dans la localité moderne de Pitisounta, située à trente milles envirion de Soukhoum-Kaleh, débouché maritime dont le nom se retrouvera souvent dans l'histoire des luttes que les Russes n'ont cessé de soutenir contre les armées du sultan." (p. 149) De la Gravière raconte comment Successianus ayant été remplacé pour la défense de Pityus, les Goths ravagèrent ensuite la Colchide jusqu'à Trapézont. Une occasion de rappeler le souvenir de cet amiral breton érudit.
Dans Études sur le commerce au Moyen Age. Histoire du commerce de la mer Noire et des colonies génoises de la Krimée (Comon Paris 1848) F. Élie de La Primaudaie (qui n'a pas encore sa fiche sur Wikipedia) note que "Dioscurias, où se rassemblaient, dit Strabon, des peuples parlant soixante-dix langues différentes, était le grand dépôt des précieuses marchandises de l'Orient, et ce commerce avait fait de l'Ibérie, pays pauvre et presque désert aujourd'hui, l'une des contrées les plus peuplées et les plus opulentes de l'Asie" (p. 12) et "Phanagoria, Panticapée et Dioscurias étaient les marchés d'esclaves les plus considérables et les plus fameux" (p. 7).
F. Delorca à l'émission "L'Humeur Vagabonde" sur France Inter
Je ferai en 10 minutes une brève présentation de l'histoire de l'Abkhazie sur France Inter le jeudi 19 mars dans l'émission de Kathleen Evin "L'humeur Vagabonde" consacrée au livre de Dov Lynch "Mer noire" de 20h à 21h, disponible en podcast à la date de l'émission jusqu'en 2017.
Election présidentielle en Abkhazie
Raoul Khadjimba, l'ancien vice-président de feu-Sergueï Bagapch qui avait démissionné en 2009 pour protester contre les accords douaniers avec la Russie, est donné vainqueur de l'élection présidentielle d'hier, dès le premier tour avec 50,57% contre le chef du Service de sécurité par intérim Aslan Bjania et le ministre de la Défense Mirab Kichmari ont recueilli respectivement 35,91% et 6,4% des suffrages.
Khadjimba était présenté comme le candidat de l'opposition. Il succède donc à Alexandre Ankvab démissionnaire. Les Abkhazes semblent avoir pris l'habitude d'élire leur président dès le premier tour pour éviter les déchirements de seconds tours fratricides, armes au poing,comme on en a vus au cours des années 2000, comme on l'avait souligné dans notre livre sur ce pays. C'était, pour Khadjimba, sa quatrième élection présidentielle. Il était le seul politicien professionnel, et bénéficiait de la popularité du mouvement social déclenché en mai qui avait chassé Ankvab du pouvoir. Dans les sondages (qui avaient prévu la victoire de Khadjmba), 60 % de la population se plaignait du chômage, de l'absence de croissance économique, de la criminalité et de la corruption, de la mauvaise qualité des soins de santé. Khadjimba était donné favori.
A noter que pour cette élection beaucoup d'Abkhazes de Russie (1 000 sur 131 000) et de Turquie ont pu prendre part au vote - de même que des Géorgiens de Mingrélie, ce qui est mal perçu par les Abkhazes, selon les sondages, mais aussi par les Russes et les Arméniens d'Abkhazie (les Arméniens avaient été courtisés à Moscou par le nouveau président dans le semaine précédent le scrutin). Khadjimba est aujourd'hui l'avocat de l'ouverture des frontières économiques avec la Russie, qui entretient une présence militaire de 4 000 hommes sur le sol abkhaze, ouverture assez largement soutenue par la population.
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Le coup d’Etat abkhaze et le conflit ukrainien
Mon article publié ce matin sur le site "Esprit Cors@ire" :
En Abkhazie que, la version électronique du Monde du mercredi 28 mai relatant les événements qualifie sottement de « petite région pro-russe et séparatiste de Géorgie » (désignerait-on la France comme une province « pro-américaine » de l’Union européenne ? l’Abkhazie étant alliée des Russes par nécessité économique et militaire, et avec bien plus de nuances que la France ne l’est des Américains), des opposants ont pris d’assaut le palais présidentiel à Soukhoum mardi dernier. Les forces armées sont restées dans un premier temps fidèles au président Alexandre Ankvab, réfugié dans son fief de Goudaouta, mais celui-ci le 1er juin a finalement décidé de démissionner pour éviter tout bain de sang.
Le motif du coup de force était la politique gouvernementale d’octroi de passeports (et donc du droit de vote) aux ressortissants de la minorité mingrélienne à l’Est du pays, soupçonnés d’être alliés au gouvernement géorgien - un sujet qui occupait déjà le débat politique local il y a cinq ans (cf "Abkhazie à la découverte d'une 'république' de survivants") – et la gestion de l’aide financière russe, détournée par le clan Ankvab selon ses opposants.
A Tbilissi, les analystes qui pendant des années se sont obstinés à ne voir dans les présidents successifs d’Abkhazie que des « marionnettes » de Moscou, s’empressent une fois de plus de discerner dans ce « Maïdan » abkhaze
La suite sur le site Esprit Cors@ire ici (dead link).
Article in extenso ici
Le coup d’Etat abkhaze et le conflit ukrainien
En Abkhazie que, la version électronique du Monde du mercredi 28 mai relatant les événements qualifie sottement de « petite région pro-russe et séparatiste de Géorgie » (désignerait-on la France comme une province « pro-américaine » de l’Union européenne ? l’Abkhazie étant alliée des Russes par nécessité économique et militaire, et avec bien plus de nuances que la France ne l’est des Américains), des opposants ont pris d’assaut le palais présidentiel à Soukhoum mardi dernier. Les forces armées sont restées dans un premier temps fidèles au président Alexandre Ankvab, réfugié dans son fief de Goudaouta, mais celui-ci le 1er juin a finalement décidé de démissionner pour éviter tout bain de sang.
Le motif du coup de force était la politique gouvernementale d’octroi de passeports (et donc du droit de vote) aux ressortissants de la minorité mingrélienne à l’Est du pays, soupçonnés d’être alliés au gouvernement géorgien - un sujet qui occupait déjà le débat politique local il y a cinq ans (1) – et la gestion de l’aide financière russe, détournée par le clan Ankvab selon ses opposants.
A Tbilissi, les analystes qui pendant des années se sont obstinés à ne voir dans les présidents successifs d’Abkhazie que des « marionnettes » de Moscou, s’empressent une fois de plus à discerner dans ce « Maïdan » abkhaze une opération téléguidée par Vladimir Poutine en soulignant que son leader Raoul Khadjimba avait été autrefois le candidat malheureux de Moscou contre le président SergueïI Bagapch. Certains notent cependant que Moscou a réagi très tardivement en envoyant l’émissaire du président Vladislav Sourkov à Soukhoum, si bien qu’il se pourrait fort bien que l’élan contestataire soit purement endogène dans ce pays où les conflits politiques se règlent souvent encore à coups de fusil.
Quelles que soient les forces à l’œuvre derrière les luttes de faction en Abkhazie, l’influence du conflit ukrainien saute aux yeux. En premier lieu, le fait qu’on parle d’un « Maïdan » abkhaze ne relève pas du hasard : la nouvelle « révolution colorée » ukrainienne, avec rassemblement populaire et renversement du président légalement élu à la clé, applaudie par les Occidentaux, a créé un nouveau précédent dangereux dans tous l’espace post-soviétique et peut-être au-delà. Le message lancé par la révolution de Kiev est « descendez dans la rue, ne respectez plus le verdict des urnes, le coup d’Etat permanent est possible ! » (si l’on ose une référence ici à la terminologie mitterrandienne).
Deuxièmement, la crise ukrainienne crée une insécurité dans l’ensemble du bassin de la Mer noire. Les Abkhazes, attachés au souvenir des hauts faits de l’Armée rouge (ils ont été, comme les Transnistriens, fidèles aux valeurs soviétiques jusqu’à la fin du mandat de Gorbatchev), ne voient pas spécialement d’un bon œil des milices d’inspiration néo-nazie donner le coup de poing en plein cœur du parlement de Kiev… ni non plus les navires de guerre américain patrouiller de plus en plus nombreux au large de leurs côtes depuis l’annexion préventive de la Crimée par Moscou.
Le président français « pro-américain » François Hollande a d’ailleurs pu attiser les craintes des Abkhazes en se précipitant le 13 mai à Tbilissi pour assurer la Géorgie du soutien de la France à son « intégrité territoriale ». Malgré les efforts de l’Elysée pour présenter cette démarche comme une sorte de « service minimum » aux côtés des alliés des Occidentaux, les Abkhazes savent ce que signifient ces mots prononcés cinq jours seulement après que le ministre des affaires étrangères de la Géorgie ait annoncé qu’il allait accélérer les efforts pour assurer l’adhésion de son pays à l’OTAN : bientôt l’Abkhazie pourrait être considérée comme un pays sécessionniste au sein d’un Etat membre de l’Alliance atlantique, et le mécanisme des traités pourrait transformer n’importe quel incident frontalier en casus belli impliquant, par la simple mécanique des traités, toute l’Alliance…
L’équation de sur les bords de la mer noire est simple : l’opération « Euromaïdan » menée pour accélérer par la force l’inclusion de l’Ukraine à la sphère euro-atlantique, et la réaction russe en Crimée qui en a découlé ainsi que les initiatives d’autodéfense dans le Donbass, ont aujourd’hui plongé toute la région dans une logique de guerre froide : qu’on songe par exemple au bras de fer entre la Moldavie et Moscou sur la question de la visite du vice-président du gouvernement russe Dmitri Rogozine en Transnistrie. Cela entraîne un isolement croissant de l’Abkhazie sur la scène internationale, transformée de plus en plus, dans le discours occidental, en simple annexe des intérêts russes dans le Caucase Sud, ce qui compromet les chances pour l’Abkhazie d’élargir le périmètre des Etats qui reconnaissent sont indépendance (au nombre de quatre actuellement), et paradoxalement lie encore plus étroitement le pays à la Russie (au point qu’on débat maintenant d’une possible annexion, comme en Ossétie du Sud). Et cela implique aussi une vulnérabilité croissante à l’égard des tentatives de déstabilisation pro-russe, mais aussi anti-russes (d’où le fait que la question de l’octroi de la citoyenneté à la minorité mingrélienne ressurgisse en des termes de plus en plus sensibles à Soukhoum sans même parler du possible retour des 200 000 réfugiés géorgiens de 1992, de plus en plus relégué aux oubliettes par ce nouveau contexte international).
Le moins que l’on puisse dire est que la perpétuation de la crise ukrainienne est ainsi devenue une très mauvaise nouvelle pour les chances de la paix dans cette région du Caucase.
F. Delorca
(1) Cf Frédéric Delorca « Abkhazie, à la découverte d’une ‘république’ de survivants » Paris, Editions du Cygne, 2010
Interview de F. Delorca dans Altinpost
Ci-dessous la version française de l'interview de Frédéric Delorca qui vient de paraître dans l'e-zine de la diapora abkhaze en Turquie Altinpost (publiée en turc ici).
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- Il y a très peu d'intellectuels français qui se sont intéressés à l'Abkhazie et vous êtes un d'entre eux. Nous savons que vous avez écrit un livre important sur ce pays qui s'appelle "Abkhazie A la découverte d'une "République" de survivants". Pourquoi l'Abkhazie? Comment avez vous rencontré ce pays?
- Pourquoi est-ce que les pays occidentaux refusent la réalité d'une Abkhazie indépendante ?
- Que devrait faire la diplomatie abkhaze, afin d'obtenir une reconnaissance européenne ou bien celle-ci est-elle impossible avant longtemps ?
- Quels sont les moyens alternatifs pour l'Abkhazie d'avoir une communication directe avec les gens en Europe, la société civile etc. ?
- De quelle manière la "crise ukrainienne" pourrait-elle affecter l'Abkhazie?
- Quelle est votre opinion sur le partenariat stratégique russo-abkhaze et sur le rôle de la Russie dans le destin de l'Abkhazie ?
Coup d'Etat en Abkhazie
Petite inquiétude : un coup d'Etat en Abkhazie. Je lis ceci dans Ria Novosti : "Mardi après-midi, des milliers de manifestants se sont rassemblés au centre de la capitale abkhaze, Soukhoum, pour réclamer la démission du président Alexandre Ankvab et du gouvernement. Les protestataires ont notamment dénoncé l'octroi massif de passeports aux habitants des régions orientales du pays.Le soir, l'opposition a annoncé avoir pris le siège de l'administration présidentielle."
J'ai bien connu ce charmant "siège de l'administration présidentielle" où nous avions nuitamment interviewé feu le président Bagapch (cf vidéo ci dessous) en 2009.
Aujourd'hui on apprend que le premier ministre a démissionné dansun souci d'apaisement pour éviter qe le sang ne soit versé. Apparemment c'est la politique d'intégration de la minorité mingrèle (toujours soupçonnée d'être pro-géorgienne), qui a mis le feu aux poudres. Poutine a envoyé un médiateur.
Tristesse de notre époque : Voltaire chez les Circassiens...
Je lisais il y a peu un texte de Voltaire amusant qui attribue l'invention des vaccins aux Circassiens. Texte de pure ironie voltairienne, mais qui possède peut-être un fond de vérité. J'ai demandé à une amie turque si l'on en débat en Abkhazie (pays circassien comme quelques autres). Elle me répond ce matin qu'elle a "parlé avec un auteur abkhaze venu de la Turquie" qui lui a dit "qu’il avait eu un petit conflit avec un journal turc qui avait publié, il y a des années, la nouvelle de l’invention du vaccin contre la petite-vérole, inspirée du texte de Voltaire" Elle m'informe qu'après une petite recherche sur Google elle tombe "sur des informations ou des commentaires en turc (qui sont semblables les uns des autres)". "Je vois que les Circassiens, quelques Tcherkesses, sont irrités par le texte de Voltaire" note-t-elle, "Surtout de cette histoire de la vente des filles pour les harems. D’après eux, cela découle d’un point de vue orientaliste. Ils disent que même si les circassiens étaient pauvres, ils faisaient de l’agriculture, élevaient des animaux, etc pour survivre."
Voilà une réponse qui m'a déçu. Voilà des gens qui ne comprennent rien à l'ironie voltairienne. Et je ne leur ferais pas lire Nietzsche.Toute la tristesse de notre époque est dans cette réaction obtuse aux grands auteurs. On se drape dans l'honneur national ou le particularisme "humilié", on ne s'intéresse pas à l'humour. Que les auteurs du passé n'aient pas cherché "spécialement" à abaisser les Circassiens à partir d'un point de vue "orientaliste" (quel anachronisme : l'orientalisme n'a étouffé nos universités qu'au XIXe siècle, ont était loin de cela à l'époque de Voltaire), mais qu'à travers leurs anecdotes ils cherchent à ramener aussi bien les Caucasiens que les Français et l'humanité de tous les peuples à leur juste mesure, ils n'y songent même pas. Ces gens se prennent trop au sérieux dans leurs postures plaintives et ratent toute profondeur historique. Et qu'est-ce qui leur a communiqué ce vice là ? Les sciences humaines européennes du dernier quart du XXe siècle dont l'idéologie s'est déversée sur eux et sur le monde entier pour en éradiquer l'intelligence, le style et l'humour...
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Pour la peine voilà le texte complet de Voltaire (pour la partie qui concerne les Circassiens) :
" LETTRE XI. (1)
Sur l’insertion de la petite-vérole. (2)
On dit doucement dans l’Europe chrétienne que les Anglais sont des fous et des enragés : des fous, parce qu’ils donnent la petite-vérole à leurs enfants pour les empêcher de l’avoir ; des enragés, parce qu’ils communiquent de gaieté de cœur à ces enfants une maladie certaine et affreuse, dans la vue de prévenir un mal incertain. Les Anglais, de leur côté, disent : Les autres Européans sont des lâches et des dénaturés : ils sont lâches, en ce qu’ils craignent de faire un peu de mal à leurs enfants ; dénaturés, en ce qu’ils les exposent à mourir un jour de la petite-vérole. Pour juger laquelle des deux nations a raison, voici l’histoire de cette fameuse insertion dont on parle en France avec tant d’effroi.
Les femmes de Circassie sont, de temps immémorial, dans l’usage de donner la petite-vérole à leurs enfants même à l’âge de six mois, en leur faisant une incision au bras, et en insérant dans cette incision une pustule qu’elles ont soigneusement enlevée du corps d’un autre enfant. Cette pustule fait, dans le bras où elle est insinuée, l’effet du levain dans un morceau de pâte ; elle y fermente, et répand dans la masse du sang les qualités dont elle est empreinte. Les boutons de l’enfant à qui l’on a donné cette petite-vérole artificielle servent à porter la même maladie à d’autres. C’est une circulation presque continuelle en Circassie, et quand malheureusement il n’y a point de petite-vérole dans le pays, on est aussi embarrassé qu’on l’est ailleurs dans une mauvaise année.
Ce qui introduit en Circassie cette coutume, qui paraît si étrange à d’autres peuples, est pourtant une cause commune à tous les peuples de la terre, c’est la tendresse maternelle et l’intérêt. Les Circassiens sont pauvres, et leurs filles sont belles ; aussi ce sont elles dont ils font le plus de trafic. Ils fournissent de beautés les harems du grand-seigneur, du sophi de Perse, et de ceux qui sont assez riches pour acheter et pour entretenir cette marchandise précieuse. Ils élèvent ces filles en tout bien et en tout honneur à caresser les hommes, à former des danses pleines de lasciveté et de mollesse, à rallumer, par tous les artifices les plus voluptueux, le goût des maîtres très dédaigneux à qui elles sont destinées. Ces pauvres créatures répètent tous les jours leur leçon avec leur mère, comme nos petites filles répètent leur catéchisme sans y rien comprendre. Or il arrivait souvent qu’un père et une mère, après avoir bien pris des peines pour donner une bonne éducation à leurs enfants, se voyaient tout d’un coup frustrés de leur espérance. La petite-vérole se mettait dans la famille, une fille en mourait, une autre perdait un œil, une troisième relevait avec un gros nez ; et les pauvres gens étaient ruinés sans ressource. Souvent même, quand la petite-vérole devenait épidémique, le commerce était interrompu pour plusieurs années ; ce qui causait une notable diminution dans les sérails de Perse et de Turquie.
Une nation commerçante est toujours fort alerte sur ses intérêts, et ne néglige rien des connaissances qui peuvent être utiles à son négoce. Les Circassiens s’aperçurent que sur mille personnes il s’en trouvait à peine une seule qui fût attaquée deux fois d’une petite-vérole bien complète ; qu’à la vérité on essuie quelquefois trois ou quatre petites-véroles légères, mais jamais deux qui soient décidées et dangereuses ; qu’en un mot jamais on n’a véritablement cette maladie deux fois en sa vie. Ils remarquèrent encore que quand les petites-véroles sont très bénignes, et que leur éruption ne trouve à percer qu’une peau délicate et fine, elles ne laissent aucune impression sur le visage. De ces observations naturelles, ils conclurent que, si un enfant de six mois ou d’un an avait une petite-vérole bénigne, il n’en mourrait pas, il n’en serait pas marqué, et serait quitte de cette maladie pour le reste de ses jours. Il restait donc, pour conserver la vie et la beauté de leurs enfants, de leur donner la petite-vérole de bonne heure ; c’est ce que l’on fit en insérant dans le corps d’un enfant un bouton que l’on prit de la petite-vérole la plus complète, et en même temps la plus favorable qu’on pût trouver. L’expérience ne pouvait pas manquer de réussir. Les Turcs, qui sont gens sensés, adoptèrent bientôt après cette coutume, et aujourd’hui il n’y a point de bacha dans Constantinople qui ne donne la petite-vérole à son fils et à sa fille en les faisant sevrer.
Quelques gens prétendent que les Circassiens prirent autrefois cette coutume des Arabes ; mais nous laissons ce point d’histoire à éclaircir par quelques bénédictins, qui ne manquera pas de composer là-dessus plusieurs volumes in-folio avec les preuves. Tout ce que j’ai à dire sur cette matière, c’est que dans le commencement du règne de George 1er, madame de Wortley-Montague, une des femmes d’Angleterre qui ont le plus d’esprit et le plus de force dans l’esprit (3), étant avec son mari en ambassade à Constantinople, s’avisa de donner sans scrupule la petite-vérole à un enfant dont elle était accouchée en ce pays. Son chapelain eut beau lui dire que cette expérience n’était pas chrétienne, et ne pouvait réussir que chez des infidèles, le fils de madame Wortley s’en trouva à merveille. Cette dame, de retour à Londres, fit part de son expérience à la princesse de Galle, qui est aujourd’hui reine ; il faut avouer que, titres et couronnes à part, cette princesse est née pour encourager tous les arts et pour faire un bien aux hommes ; c’est un philosophe aimable sur le trône ; elle n’a jamais perdu ni une occasion de s’instruire, ni une occasion d’exercer sa générosité. C’est elle qui, ayant entendu dire qu’une fille de Milton vivait encore, et vivait dans la misère, lui envoya sur-le-champ un présent considérable ; c’est elle qui protège le savant P. Courayer (4) ; c’est elle qui daigna être la médiatrice entre le docteur Clarke et M. Leibnitz (5). Dès qu’elle eut entendu parler de l’inoculation ou insertion de la petite-vérole, elle en fit faire l’épreuve sur quatre criminels condamnés à mort, à qui elle sauva doublement la vie ; car non-seulement elle les tira de la potence, mais à la faveur de cette petite-vérole artificielle, elle prévint la naturelle, qu’ils auraient probablement eue, et dont ils seraient morts peut-être dans un âge plus avancé. La princesse, assurée de l’utilité de cette épreuve, fit inoculer ses enfants : l’Angleterre suivit son exemple, et depuis ce temps, dix mille enfants de famille au moins doivent ainsi la vie à la reine et à madame Wortley-Montague, et autant de filles leur beauté.
Sur cent personnes dans le monde, soixante au moins ont la petite-vérole ; de ces soixante, dix en meurent dans les années les plus favorables, et dix en conservent pour toujours de fâcheux restes. Voilà donc la cinquième partie des hommes que cette maladie tue ou enlaidit sûrement. De tous ceux qui sont inoculés en Turquie ou en Angleterre, aucun ne meurt, s’il n’est infirme et condamné à mort d’ailleurs ;"