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Ré-enchantement du monde
La camarade Méchaï (la future Catherine Samary du 21ème siècle) rappelait dans un article récent que "les relations internationales telles qu’elles sont dites par les médias sont le lieu privilégié du "réenchantement " du monde ".
Le propos se vérifie pleinement en ce qui concerne les Etats autoproclamés. Je commence à lire le court livre de Léon Colm "Improbable Abkhazie", que j'aurai l'occasion sans doute de commenter dans mon propre ouvrage. Je tombe sur cette phrase p. 6 "Vue comme un régime criminel, pire comme un no man's land, l'Abkhazie vit dans une fussure de notre géographie politique. On ne la connaît pas, on en présume le pire".
C'est ce "on en présume le pire" qui me froisse et qui me rappelle un peu le livre de Deleu sur la Transnistrie. Pourquoi ce besoin d'emblée de "présumer le pire" à propos d'un Etat non reconnu ? Il faut que ce soit pour les gens comme une côte des pirates, comme la Cilicie au temps de Pompée, ou des îles perdues dans les Caraïbes de l'époque des corsaires... Voilà typiquement une façon de "réenchanter le monde" à peu de frais.
Peut-être parce que j'ai été vacciné par la Transnistrie (et auparavant par la Serbie, diabolisée quoique non autoproclamée) l'idée que l'Abkhazie pût être un pays à propos duquel il faut "présumer le pire" ne m'a jamais effleuré l'esprit avant que je prenne l'avion pour m'y rendre, et encore moins bien sûr quand j'y étais. Comment peut-on supposer ce genre de chose ? Partout les gouvernements sont soumis aux mêmes contraintes : il faut nourrir une population, lui apporter des réseaux d'adduction d'eau, la débarrasser de ses ordures. Partout la condition humaine est éminemment prosaïque, et pèse sur les décisions politiques dans le sens de la plus plate rationnalité. Seuls les trop grands consommateurs de films américains peuvent croire qu'il existe des pays extraordinaires où tout marche sur la tête. Le fait que partout (et même en Corée du Nord je parie) l'on capte les mêmes satellites offrant le même genre de pub pour le même genre de savonnette à quelques détails près, concourt davantage encore à rendre chaque pays, même autoproclamé, hautement prévisible.
Mais, c'est vrai, Méchaï a raison : l'on réenchante, on ne cesse jamais de réenchanter. Je songe souvent à cette remarque de Paul Veyne selon laquelle, à l'époque de Sénèque, il était obligatoire pour tout esprit distingué d'avoir un avis sur le moyen d'atteindre la paix de l'âme, tout comme aujourd'hui il est obligatoire d'avoir un avis sur les relations internationales. Voilà qui est très vrai. Vous souvenez vous combien dans le Journal de Bridget Jones l'héroïne paraît stupide quand, assise à une table londonienne branchée, elle ne trouve rien de pertinent à dire sur la guerre de Bosnie ? Les relations internationales sont le nouvel espace de projection de nos valeurs métaphysiques (et d'affirmation de notre "leadership moral" comme vient de dire M. Obama après avoir envahi Haïti). Il est donc normal que tout y soit "enchanté" et magique...
L'enchantement est enraciné dans le point de vue des dominants. Mais il l'est aussi chez les opposants. Des milieux diplomatiques du tiers-monde diffusent en ce moment un texte de Chevige González Marcó, qui attribue la paternité du tremblement de terre d'Haïti aux Etats-Unis via le système de radar Haarp ! J'ai dénoncé ce délire quand on l'appliqua dans les mêmes termes au tremblement de terre chinois le 4 juin 2008 exactement. Mais les fables ont la vie dure. Une camarade américaine me faisait remarquer cette phrase dans l'article de González Marcó : "Los Haarp potencialmente tendrían también la capacidad, de desintegrar objetos, generar combustiones espontáneas e inducidas..." Ben voyons...
Le Caucase et nous
Franchement je doute que ce genre de combat mérite d'être mené. Je retire de mon voyage en Abkhazie l'impression qu'il y a une réalité humaine qui mérite d'être connue en Occident (mais, quand il s'agit de réalité humaine, comme l'a souligné un lecteur géorgien sur ce site, il faut aussi citer les souffrances des civils géorgiens, qui ont payé un prix très élevé aussi dans les guerres civiles du Caucase).
Ensuite il y a la réalité politique. Sur le plan politique, je crois qu'il faut toujours combiner deux principes. Le premier est qu'on ne peut forcer deux peuples qui se sont entretués à construire une nation ensemble. Le second est qu'il faut prendre garde à ce qu'un sécessionnisme ne vienne renforcer le pouvoir du capitalisme occidental globalisé.
De prime abord le cas abkhaze satisfait aux deux conditions. Les Abkhazes ne veulent plus entendre parler du gouvernement géorgien. Et en soutenant l'Abkhazie les militants de Die Linke peuvent avoir le sentiment de "faire la leçon" au gouvernement géorgien de M. Saakachvili, qui, allié de M. Bush naguère, a cru contracter une assurance tout-risque en travaillant pour les grandes puissances occidentales.
Mais en y regardant de près, le cas abkhaze ne fait que compliquer les choses en matière de droit international et pour l'avenir-même du Caucase (spécialement d'ailleurs du Caucase nord). Tout indique du reste que le capitalisme russe pourrait n'en faire qu'une bouchée. Je reste donc assez réservé sur l'intérêt de se mobiliser pour l'Abkhazie ou l'Ossétie du Sud.
J'observe toutefois une tendance intéressante chez des gens qui ont été formés pendant la guerre froide à utiliser l'Abkhazie comme un thème anti-impérialiste mobilisateur du genre "peuples musulmans et chrétiens (car l'Abkhazie est musulmane et chrétienne) tous ensemble contre l'impérialisme américain basé en Géorgie !". Piotr Luczak n'est pas le seul représentant de cette tendance.
Regardez par exemple cette curiosité que je trouve sur http://www.abjasia.org.ve/cuba.html après traduction par Alta Vista. Vous noterez qu'à part le constat étrange "nos deux pays sont organisés de la même manière puisque les députés aux assemblées nationales sont élus pour la même durée de mandat", les seuls arguments en faveur de l'amitié abkhazo-cubaine sont liés à l'époque du Pacte de Varsovie et du CAEM. Néanmoins que quelqu'un ait pris la peine sur Internet d'écrire cet argumentaire est en soi significatif...
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L'Abkhazie et Cuba
L'Abkhazie et Cuba entretiennent des liens étroits et chaleureux depuis un demi-siècle.
Depuis la première visite de Fidel Castro Ruz à l'Abkhazie en 1963, les liens entre l'Abkhazie et Cuba ont été d'une grande amitié et de fraternité.
En avril 1963, le leader de la Révolution était en Abkhazie pour trois jours, comme invité spécial du premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev.
Ensemble, les deux dirigeants socialistes ont visité les villes de Pisunda abkhaze et Gudauta, pour terminer par des réunions à Soukhoumi la capitale actuelle.
Au cours de la visite historique, Castro a déclaré que les Soviétiques "ont, exprimés dans leur action leur amour et leur solidarité avec Cuba."
Abkhazie a toujours été un rempart solide du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS), et de nombreux fonctionnaires de l'Abkhazie sont allés travailler et à coopérer avec Cuba, avec pour résultat que résident aujourd'hui en Abkhazie de nombreux locuteurs hispanique.
Même avec la chute de l'URSS en 1991, le peuple d'Abkhazie a maintenu ses contacts avec Cuba et le Voyage vers la grande île n'a jamais cessé. Un exemple est Zaur Gvadzhava, L'actuel chef de mission, Mission permanente de la République d'Abkhazie, dans la République bolivarienne du Venezuela, qui a été envoyé à la République de Cuba pendant 3 ans (1978 à 1981) par l'Union soviétique. Il maintient de forts et fréquents contacts avec la République de Cuba, et s'est rendu en visite à Cuba plusieurs foirs par an.
Aujourd'hui, poussés par les présidents actuels de Cuba et la Russie, Raúl Castro et Dmitri Medvedev, les liens entre Cuba et la vieille terre soviétique d'Abkhazie sont en train de se renforcer toujours plus. Abkhazie est un facteur de l'indépendance de Cuba et le soutien de Cuba a aussi exprimé clairement sa position:
«Cuba a été parmi les premiers pays à soutenir la Russie dans son conflit avec la Géorgie et avec ceux qui sont derrière elle», a déclaré le président cubain Raúl Castro, et a souligné que «la renaissance de la Russie" est un facteur "positif" pour le monde.
Selon les deux parties, les relations russo-cubaines sont à leur plus haut niveau depuis la chute de l'URSS, a commencé l'année où les difficultés économiques pour l'île.
Parmi les constitutions de Cuba et de l'Abkhazie il y a beaucoup de similitudes. L'organisation politico-administrative de l'Abkhazie est très semblable à l'organisation politique et administrative de Cuba. L'organe suprême du pouvoir, c'est l'Assemblée du peuple, dont les membres sont élus pour cinq ans soit une durée égale aux membres de l'Assemblée nationale de Cuba.
Soutenir le droit international à l'autodétermination des peuples, Cuba a été le principal instigateur du document final du Quatorzième Sommet des chefs d'État des pays non alignés, Mouvement du 11 au 16 Septembre 2006, La Havane, Cuba. En présence de Kofi Annan, Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, les envoyés des 118 membres de l'Organisation approuvé à l'unanimité le document où "A été souligné le droit fondamental et inaliénable de tous les peuples à l'autodétermination, l'exercice est essentiel pour assurer le respect universel des droits de l'homme et des libertés fondamentales."
Selon les termes de Sergei Bagapch, le président de l'Abkhazie, "Cuba et l'Abkhazie sont deux pays frères, unis tous les jours par la solidarité et par un ensemble de principes communs comme consigne directrice."
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La pertinence de ce qu'on écrit
Par exemple quand cet après-midi Claudine Pôlet me demande très aimablement l'autorisation de publier mon article "L'Otan à la conquête de l'Arctique" dans le bulletin trimestriel du Comité Surveillance Otan, je sais que c'est un signe que je n'ai pas travaillé pour rien, car, quoique son collectif belge soit de taille réduite, je n'ignore pas que ce sont des gens très au fait de l'actualité, et qui, depuis la guerre du Kosovo ont un regard très affuté sur la géopolitique eurasienne. Mon travail (qui en synthétisait d'autres, notamment un article de mondialisation.ca que je cite en référence) leur est utile pour avancer et ce sont des gens qui sont dans le vrai. Tant pis à la limite si les masses ne les suivent pas. Qu'au moins les éclaireurs demeurent informés.
Un autre signe du fait que mon travail suit une bonne orientation : depuis mon retour d'Abkhazie, j'essaie de faire un livre sur mon voyage là bas comme me le demande mon éditeur. Je sais que mon séjour à Soukhoumi a été un peu trop court pour faire un ouvrage complet et donc je vais compléter mon journal de voyage par une seconde partie (comme je l'avais fait sur la Transnistrie) Je vais utiliser dans cette seconde partie des échanges que j'ai à travers Facebook avec 3 femmes qui vivent en Abkhazie (1 arménienne et 2 abkhazes)
L'une d'elles j'ai réussi à la voir en chair et en os dans des conditions un peu rocambolesques à Soukhoumi pendant quelques minutes - elle s'appelle G.
Je vais interviewer les trois via Skype et enregistrer ce qu'elles diront (elles m'ont déjà dit pas mal de trucs par mail). Après, je verrai si dans cette fameuse seconde partie du livre, je restitue leurs interviews brut de décoffrage sous un titre du genre "paroles de femmes d'Abkhazie" ou si j'en fais une synthèse sous forme d'article.
Comme je proposais à G de l'interroger le 8 janvier prochain, voici ce qu'elle m'a répondu (ci dessous). Je trouve que les précautions qu'elle prend avant l'interview en disent long, une fois de plus sur la responsabilité que nous avons, mon éditeur en tant qu'éditeur indépendant et moi en tant qu'auteur indépendant, à l'égard de peuples qui, au terme de conflits meurtriers, ont toujours été victimes de la désinformation de la part des grands médias occidentaux (désinformation liée au manque de temps pour enquêter sur place, ou à des biais idéologiques parce que ces peuples ont la malchance de se battre contre des pays qui sont nos alliés). Dès que nous allons vers eux, nous nous trouvons dans la position d'être pratiquement les seuls "médias" occidentaux (même si nous sommes des "micro-médias") en situation d'être en prise avec un aspect du réel que les autres n'ont pas voulu voir. Je trouve que cela charge notre rôle d'une bien grave responsabilité. Nous n'avons pas le droit de décevoir ces gens que les autres médias ne veulent pas entendre.
"Dear F,
8 th january sounds ok. Before we start our communication there is something I'd like to tell you. You wrote to me that you are writing a artice about your trip to Abkhazia. In this connection I'd like to share my thoughts and experience in reading some articles about Abkhazia . I hope you will not be offeneded if I say that almost all western media is pro georgian, either they do not know our history and are unable to reflect the present and past situation. I do know if this is your first time in Abkhazia and what exactly you want to know from me. I will be more than happy to help you if the article you are going to wirte will be fair. If not , than , sorry I will not be of assistance.
All the best.
G"
Voilà en tout cas pour moi encore un signe que sur le dossier abkhaze je ne travaille pas pour rien, et tant pis si le livre ne se vend pas, si personne ne s'y intéresse. Il y aura eu au moins là un geste, quelque chose, qui me plaçait dans le vrai, dans un registre d'existence plus juste et plus profond que le suivi grégaire des préoccupations des lecteurs ordinaires de la grande presse
On peut en dire autant de Diana Johnstone (quels que soient mes désaccords avec elle et avec son style de militantisme) : sa "Croisade des Fous" qui est un livre d'une richesse étonnante sur la guerre de Yougoslavie restera un livre de référence. Même si le Temps des Cerises ne se donne plus la peine de l'imprimer, même si moins de 500 personnes en France l'auront lu, Diana Johnstone aura fait pour son époque oeuvre plus utile que tous les BH Lévy et tous les Finkilekraut avec leurs tonnes de bestsellers.
Je ne prétends pas du tout écrire le "Croisade des Fous" de l'Abkhazie. Ca n'aurait pas grand sens de composer un ouvrage érudit sur le sort cruel d'un petit peuple de 200 000 personnes. J'aurais presque le sentiment de m'offrir un plaisir d'entomologiste sans rapport avec l'importance réelle de ce pays pour le destin de l'humanité. Un peu comme ce linguiste qui après l'attaque géorgienne contre les Ossètes du Sud se passionna sur un mode monomaniaque pour la défense de ce peuple microscopique en leur consacrant un site hyper-documenté qui absorbait ses jours et ses nuits tout en refusant d'élargir le sujet en créant des coopérations avec des sites comme celui de l'Atlas alternatif. Parler trop des souffrances d'un pays minuscule peut constituer une insulte à celles des grands. Les Abkhazes ne méritent peut-être pas un Fools'crusade, mais un journal de voyage qui sonne juste, qui dit quelque chose de vrai sur leur histoire ancienne ou récente et sur leur vision de l'avenir, contre l'océan de désinformation que Géorgiens et Occidentaux diffusent sur eux, sur Wikipedia notamment, oui, je crois que cela en vaut la peine.
De retour d'Abkhazie
Pour vous faire une idée de ce pays, imaginez un petit territoire sous les palmiers et les eucalyptus, en partie montagneux, qui a été bombardé pendant des semaines en 1992 et où partout les maisons détruites, les fenêtres cassées, les toits défoncés seraient restés intacts parce qu'il n'y a pas d'argent et aussi parce que beaucoup de géorgiens ont abandonné leurs maisons dans cette guerre civile (un pays qui a failli connaître à nouveau ce cauchemar en 2008, car Saakachvili devait au départ l'attaquer plutôt que l'Ossétie du Sud). Une ambiance assez surréaliste. Les écoles sont tapissées de dessins d'enfants qui évoquent la guerre, les terres sont encore collectivisées car ce peuple caucasien (déjà hostile à la propriété privée avant la révolution bolchévique) refuse les investissements étrangers (même dans les banques, les services, il n'y a pas là bas d'équivalent au trust Shériff de Transnistrie).
A suivre donc...