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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #abkhazie tag

Le coup d’Etat abkhaze et le conflit ukrainien

4 Juin 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Abkhazie

Mon article publié ce matin sur le site "Esprit Cors@ire" :

 

P1020569En Abkhazie que, la version électronique du Monde du mercredi 28 mai relatant les événements qualifie sottement de « petite région pro-russe et séparatiste de Géorgie » (désignerait-on la France comme une province « pro-américaine » de l’Union européenne ? l’Abkhazie étant alliée des Russes par nécessité économique et militaire, et avec bien plus de nuances que la France ne l’est des Américains), des opposants ont pris d’assaut le palais présidentiel à Soukhoum mardi dernier. Les forces armées sont restées dans un premier temps fidèles au président Alexandre Ankvab, réfugié dans son fief de Goudaouta, mais celui-ci le 1er juin a finalement décidé de démissionner pour éviter tout bain de sang.

 

Le motif du coup de force était la politique gouvernementale d’octroi de passeports (et donc du droit de vote) aux ressortissants de la minorité mingrélienne à l’Est du pays, soupçonnés d’être alliés au gouvernement géorgien - un sujet qui occupait déjà le débat politique local il y a cinq ans (cf "Abkhazie à la découverte d'une 'république' de survivants") – et la gestion de l’aide financière russe, détournée par le clan Ankvab selon ses opposants.

 

A Tbilissi, les analystes qui pendant des années se sont obstinés à ne voir dans les présidents successifs d’Abkhazie que des « marionnettes » de Moscou, s’empressent une fois de plus de discerner dans ce « Maïdan » abkhaze

 

La suite sur le site Esprit Cors@ire  ici (dead link).

 

Article in extenso ici

 

 

 

                                               Le coup d’Etat abkhaze et le conflit ukrainien

 

 

En Abkhazie que, la version électronique du Monde du mercredi 28 mai relatant les événements qualifie sottement de « petite région pro-russe et séparatiste de Géorgie » (désignerait-on la France comme une province « pro-américaine » de l’Union européenne ? l’Abkhazie étant alliée des Russes par nécessité économique et militaire, et avec bien plus de nuances que la France ne l’est des Américains), des opposants ont pris d’assaut le palais présidentiel à Soukhoum mardi dernier. Les forces armées sont restées dans un premier temps fidèles au président Alexandre Ankvab, réfugié dans son fief de Goudaouta, mais celui-ci le 1er juin a finalement décidé de démissionner pour éviter tout bain de sang.

 

Le motif du coup de force était la politique gouvernementale d’octroi de passeports (et donc du droit de vote) aux ressortissants de la minorité mingrélienne à l’Est du pays, soupçonnés d’être alliés au gouvernement géorgien  - un sujet qui occupait déjà le débat politique local il y a cinq ans (1) – et la gestion de l’aide financière russe, détournée par le clan Ankvab selon ses opposants.

 

A Tbilissi, les analystes qui pendant des années se sont obstinés à ne voir dans les présidents successifs d’Abkhazie que des « marionnettes » de Moscou, s’empressent une fois de plus à discerner dans ce « Maïdan » abkhaze une opération téléguidée par Vladimir Poutine en soulignant que son leader Raoul Khadjimba avait été autrefois le candidat malheureux de Moscou contre le président SergueïI Bagapch. Certains notent cependant que Moscou a réagi très tardivement en envoyant l’émissaire du président Vladislav Sourkov à Soukhoum, si bien qu’il se pourrait fort bien que l’élan contestataire soit purement endogène dans ce pays où les conflits politiques se règlent souvent encore à coups de fusil.

 

Quelles que soient les forces à l’œuvre derrière les luttes de faction en Abkhazie, l’influence du conflit ukrainien saute aux yeux. En premier lieu, le fait qu’on parle d’un « Maïdan » abkhaze ne relève pas du hasard : la nouvelle « révolution colorée » ukrainienne, avec rassemblement populaire et renversement du président légalement élu à la clé, applaudie par les Occidentaux, a créé un nouveau précédent dangereux dans tous l’espace post-soviétique et peut-être au-delà. Le message lancé par la révolution de Kiev est « descendez dans la rue, ne respectez plus le verdict des urnes, le coup d’Etat permanent est possible ! » (si l’on ose une référence ici à la terminologie mitterrandienne).

 

Deuxièmement, la crise ukrainienne crée une insécurité dans l’ensemble du bassin de la Mer noire. Les Abkhazes, attachés au souvenir des hauts faits de l’Armée rouge (ils ont été, comme les Transnistriens, fidèles aux valeurs soviétiques jusqu’à la fin du mandat de Gorbatchev), ne voient pas spécialement d’un bon œil des milices d’inspiration néo-nazie donner le coup de poing en plein cœur du parlement de Kiev… ni non plus les navires de guerre américain patrouiller de plus en plus nombreux au large de leurs côtes depuis l’annexion préventive de la Crimée par Moscou.

 

Le président français « pro-américain » François Hollande a d’ailleurs pu attiser les craintes des Abkhazes en se précipitant le 13 mai  à Tbilissi pour assurer la Géorgie du soutien de la France à son « intégrité territoriale ». Malgré les efforts de l’Elysée pour présenter cette démarche comme une sorte de « service minimum » aux côtés des alliés des Occidentaux, les Abkhazes savent ce que signifient ces mots prononcés cinq jours seulement après que le ministre des affaires étrangères de la Géorgie ait annoncé qu’il allait accélérer les efforts pour assurer l’adhésion de son pays à l’OTAN : bientôt l’Abkhazie pourrait être considérée comme un pays sécessionniste au sein d’un Etat membre de l’Alliance atlantique, et le mécanisme des traités pourrait transformer n’importe quel incident frontalier en casus belli impliquant, par la simple mécanique des traités, toute l’Alliance…

 

L’équation de sur les bords de la mer noire est simple : l’opération « Euromaïdan » menée pour accélérer par la force l’inclusion de l’Ukraine à la sphère euro-atlantique, et la réaction russe en Crimée qui en a découlé ainsi que les initiatives d’autodéfense dans le Donbass, ont aujourd’hui plongé toute la région dans une logique de guerre froide : qu’on songe par exemple au bras de fer entre la Moldavie et Moscou sur la question de la visite du vice-président du gouvernement russe Dmitri Rogozine en Transnistrie. Cela entraîne un isolement croissant de l’Abkhazie sur la scène internationale, transformée de plus en plus, dans le discours occidental, en simple annexe des intérêts russes dans le Caucase Sud, ce qui compromet les chances pour l’Abkhazie d’élargir le périmètre des Etats qui reconnaissent sont indépendance (au nombre de quatre actuellement), et paradoxalement lie encore plus étroitement le pays à la Russie (au point qu’on débat maintenant d’une possible annexion, comme en Ossétie du Sud). Et cela implique aussi une vulnérabilité croissante à l’égard des tentatives de déstabilisation pro-russe, mais aussi anti-russes (d’où le fait que la question de l’octroi de la citoyenneté à la minorité mingrélienne ressurgisse en des termes de plus en plus sensibles à Soukhoum sans même parler du possible retour des 200 000 réfugiés géorgiens de 1992, de plus en plus relégué aux oubliettes par ce nouveau contexte international).

 

Le moins que l’on puisse dire est que la perpétuation de la crise ukrainienne est ainsi devenue une très mauvaise nouvelle pour les chances de la paix dans cette région du Caucase.

 

F. Delorca

 

 

(1) Cf Frédéric Delorca « Abkhazie, à la découverte d’une ‘république’ de survivants » Paris, Editions du Cygne, 2010

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Interview de F. Delorca dans Altinpost

29 Mai 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Abkhazie

Ci-dessous la version française de l'interview de Frédéric Delorca qui vient de paraître dans l'e-zine de la diapora abkhaze en Turquie Altinpost (publiée en turc ici).

 

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P1020531.JPG

- Il y a très peu d'intellectuels français qui se sont intéressés à l'Abkhazie et vous êtes un d'entre eux. Nous savons que vous avez écrit un livre important sur ce pays qui s'appelle "Abkhazie A la découverte d'une "République" de survivants". Pourquoi l'Abkhazie? Comment avez vous rencontré ce pays?

 

--- J'ai mené un combat contre l'hégémonisme de l'OTAN à partir de la guerre du Kosovo, et j'ai toujours voulu lutter contre la désinformation à propos des diverses guerres à travers le monde, y compris les "conflits gelés" d'ex-URSS. En 2007 je me suis rendu en Transnistrie, et, en 2009, quand des amis polonais m'ont proposé de faire partie d'une mission de contrôle électoral pour la première élection présidentielle après la reconnaissance par la Russie, j'ai tout de suite accepté de m'y rendre.
 
- Pourquoi est-ce que les pays occidentaux refusent la réalité d'une Abkhazie indépendante ?
 
- La principale raison est que les puissances occidentales ont toujours été réticentes à l'idée de remettre en cause les frontières héritées de la seconde guerre mondiale. Avec l'éclatement de la Yougoslavie et celui de l'Union soviétique, elles ont accepté l'idée de découper les frontières des anciens Etats fédéraux le long des limites des Etats fédérés, mais n'acceptent pas d'aller au delà. La contradiction complète tient bien sûr au cas du Kosovo, dans lequel l'Ouest ne veut voir qu'une exception (mais ça n'a aucun sens). Peut-être l'indépendance de l'Ecosse va-t-elle faire évoluer les mentalités. Mais ce que les Européens acceptent pour l'Ouest du continent, ils ne sont pas prêts à l'accepter pour les pays riverains de la Mer Noire. Toujours le "deux poids deux mesures"... Et puis l'annexion de la Crimée a suscité beaucoup de craintes. Les esprits des milieux gouvernementaux restent crispés et fermés à tout effort de pédagogie. 

- Que devrait faire la diplomatie abkhaze, afin d'obtenir une reconnaissance européenne ou bien celle-ci est-elle impossible avant longtemps ?
 
- Il est toujours utile de développer un travail de lobbying auprès de diverses institutions comme le Conseil de l'Europe ou le Parlement européen. Auprès des médias aussi. Il faut mener un travail pédagogique. expliquer que l'Abkhazie a été rattachée de force à la Géorgie par Staline. Raconter toutes les épreuves traversées par le peuple abkhaze, depuis la déportation au XIXe siècle, jusqu'à la guerre patriotique de 1992-93, mettre l'accent sur le côté multiethnique de l'Abkhazie actuelle, sur ses efforts pour se démocratiser, sur le mérite qu'elle a eu de résister à tous les embargos, casser tous les clichés du pays dangereux, mafieux, base du militarisme russe etc que ses adversaires entretiennent en permanence.

- Quels sont les moyens alternatifs pour l'Abkhazie d'avoir une communication directe avec les gens en Europe, la société civile etc. ? 
 
- Les Européens de l'Ouest (et surtout les Français) ont deux grands défauts : ils ne s'intéressent pas beaucoup à ce qui se passe au delà de leurs frontières (la très grande majorité ignore l'existence de l'Abkhazie), et leur point de vue est conditionné par les grands médias, c'est à dire en fait par quelques journalistes qui répètent ce que disent une dizaine de leurs confères (par exemple en France, l'AFP, le Monde et Radio France internationale qui restent les plus influents sur la politique étrangère). Pour contourner le mur de la désinformation, il faut aller vers des milieux qu, ont des raisons diverses et variées de se méfier des "vérités officielles". Par exemple les milieux souverainistes (hostiles à l'Union européenne), la gauche de la gauche, les écologistes, les partis régionalistes (j'avais moi même tenté d'amener avec moi un élu occitaniste en Abkhazie). Ces mouvances peuvent être intéressées par le point de vue abkhaze. Il est aussi possible de développer une coopération culturelle avec les municipalités, les régions ou les associations quelles que soient leur couleur politique. Le Caucase est si mal connu en France. Je suis sûr par exemple que l'Association des Populations des Montagnes du Monde qui est présidée par un élu de ma région natale pourrait collaborer utilement avec l'Abkhazie.

- De quelle manière la "crise ukrainienne" pourrait-elle affecter l'Abkhazie?

- Principalement, elle crispe les relations Est-Ouest ce qui ne peut que renforcer aux yeux des Occidentaux la volonté d'isoler l'Abkhazie. Le pire serait sans doute si cette logique de guerre froide aboutissait à l'entrée de la Géorgie dans l'OTAN. D'une manière générale il faut souhaiter une stabilisation de la situation ukrainienne autour d'une solution "raisonnable" qui préserve les intérêts à la fois de la partie russophone du pays et ceux de la partie orientale et mette un terme à la logique de militarisation et de déstabilisation de l'ensemble du bassin de la Mer Noire. Cela suppose bien sûr le désarmement des milices de part et d'autre (celui de Secteur de droite et des éventuels mercenaires présents à l'Ouest du Pays, comme celui des groupes d'auto-défense russophones à l'Ouest). Espérons que le réalisme finira par prévaloir de part et d'autre sur ce point.

- Quelle est votre opinion sur le partenariat stratégique russo-abkhaze et sur le rôle de la Russie dans le destin de l'Abkhazie ?

- Je crois que les dirigeants abkhazes ont compris à la fois que l'alliance avec la Russie était à court terme le meilleur moyen de renforcer la sécurité du pays et d'éviter une nouvelle guerre avec la Géorgie, et que cette alliance risquait à plus long terme de les rendre trop dépendants du sort de la Russie dans les relations internationales si elle restait trop "exclusive". D'où l'intérêt pour l'Abkhazie de développer des liens également avec la Turquie, l'Iran, le monde arabe... Mais comment développer des contacts avec ces autres pays si ces derniers ont peur de reconnaître la République abkhaze, et comment lier des contacts avec eux sans devenir un enjeu de leurs rivalités voire sans importer une partie de leurs problèmes internes ? Je suppose que c'est une question assez complexe.
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Coup d'Etat en Abkhazie

29 Mai 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Abkhazie

P1020569abkhaziePetite inquiétude : un coup d'Etat en Abkhazie. Je lis ceci dans Ria Novosti : "Mardi après-midi, des milliers de manifestants se sont rassemblés au centre de la capitale abkhaze, Soukhoum, pour réclamer la démission du président Alexandre Ankvab et du gouvernement. Les protestataires ont notamment dénoncé l'octroi massif de passeports aux habitants des régions orientales du pays.Le soir, l'opposition a annoncé avoir pris le siège de l'administration présidentielle."

 

J'ai bien connu ce charmant "siège de l'administration présidentielle" où nous avions nuitamment interviewé feu le président Bagapch (cf vidéo ci dessous) en 2009.

 

 

Aujourd'hui on apprend que le premier ministre a démissionné dansun souci d'apaisement pour éviter qe le sang ne soit versé. Apparemment c'est la politique d'intégration de la minorité mingrèle (toujours soupçonnée d'être pro-géorgienne), qui a mis le feu aux poudres. Poutine a envoyé un médiateur.

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Tristesse de notre époque : Voltaire chez les Circassiens...

26 Novembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes, #Abkhazie

maruiz.jpgJe lisais il y a peu un texte de Voltaire amusant qui attribue l'invention des vaccins aux Circassiens. Texte de pure ironie voltairienne, mais qui possède peut-être un fond de vérité. J'ai demandé à une amie turque si l'on en débat en Abkhazie (pays circassien comme quelques autres). Elle me répond ce matin qu'elle a "parlé avec un auteur abkhaze venu de la Turquie" qui lui a dit  "qu’il avait eu un petit conflit avec un journal turc qui avait publié, il y a des années, la nouvelle de l’invention du vaccin contre la petite-vérole, inspirée du texte de Voltaire" Elle m'informe qu'après une petite recherche sur Google elle tombe "sur des informations ou des commentaires en turc (qui sont semblables les uns des autres)". "Je vois que les Circassiens, quelques Tcherkesses, sont irrités par le texte de Voltaire" note-t-elle, "Surtout de cette histoire de la vente des filles pour les harems. D’après eux, cela découle d’un point de vue orientaliste. Ils disent que même si les circassiens étaient pauvres, ils faisaient de l’agriculture, élevaient des animaux, etc pour survivre."

 

Voilà une réponse qui m'a déçu. Voilà des gens qui ne comprennent rien à l'ironie voltairienne. Et je ne leur ferais pas lire Nietzsche.Toute la tristesse de notre époque est dans cette réaction obtuse aux grands auteurs. On se drape dans l'honneur national ou le particularisme "humilié", on ne s'intéresse pas à l'humour. Que les auteurs du passé n'aient pas cherché "spécialement" à abaisser les Circassiens à partir d'un point de vue "orientaliste" (quel anachronisme : l'orientalisme n'a étouffé nos universités qu'au XIXe siècle, ont était loin de cela à l'époque de Voltaire), mais qu'à travers leurs anecdotes ils cherchent à ramener aussi bien les Caucasiens que les Français et l'humanité de tous les peuples à leur juste mesure, ils n'y songent même pas. Ces gens se prennent trop au sérieux dans leurs postures plaintives et ratent toute profondeur historique. Et qu'est-ce qui leur a communiqué ce vice là ? Les sciences humaines européennes du dernier quart du XXe siècle dont l'idéologie s'est déversée sur eux et sur le monde entier pour en éradiquer l'intelligence, le style et l'humour...

 

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Pour la peine voilà le texte complet de Voltaire (pour la partie qui concerne les Circassiens) :

 

" LETTRE XI. (1)
 
 
Sur l’insertion de la petite-vérole. (2)
 
 
         On dit doucement dans l’Europe chrétienne que les Anglais sont des fous et des enragés : des fous, parce qu’ils donnent la petite-vérole à leurs enfants pour les empêcher de l’avoir ; des enragés, parce qu’ils communiquent de gaieté de cœur à ces enfants une maladie certaine et affreuse, dans la vue de prévenir un mal incertain. Les Anglais, de leur côté, disent : Les autres Européans sont des lâches et des dénaturés : ils sont lâches, en ce qu’ils craignent de faire un peu de mal à leurs enfants ; dénaturés, en ce qu’ils les exposent à mourir un jour de la petite-vérole. Pour juger laquelle des deux nations a raison, voici l’histoire de cette fameuse insertion dont on parle en France avec tant d’effroi.
 
         Les femmes de Circassie sont, de temps immémorial, dans l’usage de donner la petite-vérole à leurs enfants même à l’âge de six mois, en leur faisant une incision au bras, et en insérant dans cette incision une pustule qu’elles ont soigneusement enlevée du corps d’un autre enfant. Cette pustule fait, dans le bras où elle est insinuée, l’effet du levain dans un morceau de pâte ; elle y fermente, et répand dans la masse du sang les qualités dont elle est empreinte. Les boutons de l’enfant à qui l’on a donné cette petite-vérole artificielle servent à porter la même maladie à d’autres. C’est une circulation presque continuelle en Circassie, et quand malheureusement il n’y a point de petite-vérole dans le pays, on est aussi embarrassé qu’on l’est ailleurs dans une mauvaise année.
 
         Ce qui introduit en Circassie cette coutume, qui paraît si étrange à d’autres peuples, est pourtant une cause commune à tous les peuples de la terre, c’est la tendresse maternelle et l’intérêt. Les Circassiens sont pauvres, et leurs filles sont belles ; aussi ce sont elles dont ils font le plus de trafic. Ils fournissent de beautés les harems du grand-seigneur, du sophi de Perse, et de ceux qui sont assez riches pour acheter et pour entretenir cette marchandise précieuse. Ils élèvent ces filles en tout bien et en tout honneur à caresser les hommes, à former des danses pleines de lasciveté et de mollesse, à rallumer, par tous les artifices les plus voluptueux, le goût des maîtres très dédaigneux à qui elles sont destinées. Ces pauvres créatures répètent tous les jours leur leçon avec leur mère, comme nos petites filles répètent leur catéchisme sans y rien comprendre. Or il arrivait souvent qu’un père et une mère, après avoir bien pris des peines pour donner une bonne éducation à leurs enfants, se voyaient tout d’un coup frustrés de leur espérance. La petite-vérole se mettait dans la famille, une fille en mourait, une autre perdait un œil, une troisième relevait avec un gros nez ; et les pauvres gens étaient ruinés sans ressource. Souvent même, quand la petite-vérole devenait épidémique, le commerce était interrompu pour plusieurs années ; ce qui causait une notable diminution dans les sérails de Perse et de Turquie.
 
         Une nation commerçante est toujours fort alerte sur ses intérêts, et ne néglige rien des connaissances qui peuvent être utiles à son négoce. Les Circassiens s’aperçurent que sur mille personnes il s’en trouvait à peine une seule qui fût attaquée deux fois d’une petite-vérole bien complète ; qu’à la vérité on essuie quelquefois trois ou quatre petites-véroles légères, mais jamais deux qui soient décidées et dangereuses ; qu’en un mot jamais on n’a véritablement cette maladie deux fois en sa vie. Ils remarquèrent encore que quand les petites-véroles sont très bénignes, et que leur éruption ne trouve à percer qu’une peau délicate et fine, elles ne laissent aucune impression sur le visage. De ces observations naturelles, ils conclurent que, si un enfant de six mois ou d’un an avait une petite-vérole bénigne, il n’en mourrait pas, il n’en serait pas marqué, et serait quitte de cette maladie pour le reste de ses jours. Il restait donc, pour conserver la vie et la beauté de leurs enfants, de leur donner la petite-vérole de bonne heure ; c’est ce que l’on fit en insérant dans le corps d’un enfant un bouton que l’on prit de la petite-vérole la plus complète, et en même temps la plus favorable qu’on pût trouver. L’expérience ne pouvait pas manquer de réussir. Les Turcs, qui sont gens sensés, adoptèrent bientôt après cette coutume, et aujourd’hui il n’y a point de bacha dans Constantinople qui ne donne la petite-vérole à son fils et à sa fille en les faisant sevrer.
 
         Quelques gens prétendent que les Circassiens prirent autrefois cette coutume des Arabes ; mais nous laissons ce point d’histoire à éclaircir par quelques bénédictins, qui ne manquera pas de composer là-dessus plusieurs volumes in-folio avec les preuves. Tout ce que j’ai à dire sur cette matière, c’est que dans le commencement du règne de George 1er, madame de Wortley-Montague, une des femmes d’Angleterre qui ont le plus d’esprit et le plus de force dans l’esprit (3), étant avec son mari en ambassade à Constantinople, s’avisa de donner sans scrupule la petite-vérole à un enfant dont elle était accouchée en ce pays. Son chapelain eut beau lui dire que cette expérience n’était pas chrétienne, et ne pouvait réussir que chez des infidèles, le fils de madame Wortley s’en trouva à merveille. Cette dame, de retour à Londres, fit part de son expérience à la princesse de Galle, qui est aujourd’hui reine ; il faut avouer que, titres et couronnes à part, cette princesse est née pour encourager tous les arts et pour faire un bien aux hommes ; c’est un philosophe aimable sur le trône ; elle n’a jamais perdu ni une occasion de s’instruire, ni une occasion d’exercer sa générosité. C’est elle qui, ayant entendu dire qu’une fille de Milton vivait encore, et vivait dans la misère, lui  envoya sur-le-champ un présent considérable ; c’est elle qui protège le savant P. Courayer (4) ; c’est elle qui daigna être la médiatrice entre le docteur Clarke et M. Leibnitz (5). Dès qu’elle eut entendu parler de l’inoculation ou insertion de la petite-vérole, elle en fit faire l’épreuve sur quatre criminels condamnés à mort, à qui elle sauva doublement la vie ; car non-seulement elle les tira de la potence, mais à la faveur de cette petite-vérole artificielle, elle prévint la naturelle, qu’ils auraient probablement eue, et dont ils seraient morts peut-être dans un âge plus avancé. La princesse, assurée de l’utilité de cette épreuve, fit inoculer ses enfants : l’Angleterre suivit son exemple, et depuis ce temps, dix mille enfants de famille au moins doivent ainsi la vie à la reine et à madame Wortley-Montague, et autant de filles leur beauté.
 
         Sur cent personnes dans le monde, soixante au moins ont la petite-vérole ; de ces soixante, dix en meurent dans les années les plus favorables, et dix en conservent pour toujours de fâcheux restes. Voilà donc la cinquième partie des hommes que cette maladie tue ou enlaidit sûrement. De tous ceux qui sont inoculés en Turquie ou en Angleterre, aucun ne meurt, s’il n’est infirme et condamné à mort d’ailleurs ;"

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Le 9 mai à Soukhoumi

10 Mai 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Abkhazie

10-mai.JPGHier en Abkhazie, on fêtait le 9 mai, anniversaire de la victoire du monde sur le régime national-socialiste allemand. Il y avait une banderole près de la statue du Soldat inconnu qui disait "les héros de cette guerre nous n'oublierons jamais" et des vieux vétérans de la seconde guerre mondiale (dans ce pays du Caucase qui se vante de battre des records de longévité). Il y avait une petite fille à moitié turque qui donnait une fleur aux anciens combattants.

 

A Tbilissi, capitale de la Géorgie qui prétend reconquérir la province sécessionniste abkhaze, le 9 mai fut aussi fêté. Avec plus de ferveur ou moins ? Je ne sais pas.SAM_2467-001.jpg

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