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Le blog de Frédéric Delorca

Des sujets qu'on ne traitera pas ici

13 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous

Je pourrais évoquer beaucoup de choses ce soir sur ce blog.

 

P1010968L'étrange façon dont B92 met en exergue le 37ème anniversaire du décès du prix Nobel Ivo Adric, comme si 37 ans était un compte rond, la tentative d'assassinat du président Ankvab en Abkhazie et la façon stupide dont le magazine TV l'Echappée belle a tenté de parler de ce pays il y a quelques jours, les nouvelles épouvantables que je lis sur le sort des Noirs en Libye et dont il va falloir que je parle sur un autre blog (après vérification des infos bien sûr, mais les éléments commencent à concorder), puisque cela n'intéresse pas nos médias ; et puis la sage décision du Conseil constitutionnel qui a censuré la loi "mémorielle" écrite pour le lobby arménien, et la honteuse attaque qu'elle provoque de la part de M. BHL du BHV qui fulmine une fois de plus contre nos institutions, et encore ce film de Woody Allen de 2010 que j'ai vu ce soir en DVD ("Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu") sur l'insignifiance de la vie et les illusions, qui finalement met en valeur l'art du récit comme opérateur d'une sorte de "oui dionysiaque à la vie" (et ça, ça me renvoie mine de rien à la passion du récit chez Marguerite de Navarre), et encore, puisqu'on parle de dionysisme, le bon article du Monde diplo de ce mois-ci contre le Enième livre caricatural d'Onfray (livre pour Camus et contre Sartre cette fois-ci), c'est le seul article que je lise dans ce numéro du journal, tout le reste m'indiffère.

 

Beaucoup de sujets mais le temps fait défaut. Bientôt minuit. Oublions donc ce blog pour quelques heures.

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La dynamique du vote Mélenchon

13 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche

Puisque ce blog sert un peu aussi à prendre date, je voudrais ici reprendre le commentaire que j'ai posté en réaction à un article d'un ami anti-européiste de gauche, Edgar, qui, sur son blog "La lettre volée" a posté une critique que le PC grec adresse à son homologue français sur la question europénne (une critique qui fait suite à beaucoup d'autres critiques que ce blogueur a adressées à Mélenchon sur cette même question).

 

Je me suis indigné du caractère répété des attaques de ce blog contre Mélenchon parce qu'à la longue elles s'apparentaient vraiment à une tactique de déstabilisation pour dire "surtout ne votez pas pour le Front de Gauche". Bien sûr on critique principalement les gens dont on est proche - je comprends qu' "Edgar" ne dénigre pas autant Bayrou ou Joly avec qui il n'a rien en commun. Mais voila qui me paraît très pervers, car cela revient à détourner les lecteurs de son blog de l'option la plus crédible parmi les moins éloignées de leurs convictions. Je vois la même attitude chez des communistes orthodoxes anti-front de gauche, et des "antiimpérialistes" sectaires qui se répandent en insultes parce que Mélenchon n'a pas été assez clair sur la non-ingérence. Ces gens font ainsi le jeu de François Hollande (un européiste otaniste), c'est quand même beau...

 

Bien sûr comme tout le monde je répère ce qui "cloche" chez Mélenchon, sur la question du protectionnisme européen, du vote de la Russie et de la Chine au conseil de sécurité de l'ONU sur la Syrie, sur la Côte d'Ivoire, sur l'héritage de Mitterrand et tant d'autres sujets. De même que j'ai dénoncé parfois son style trop agressif, machiste, maladroit, approximatif (alors qu'il sait aussi être érudit, précis, subtil, et charmeur avec ses interlocuteur quand il s'en  onne la peine). Mais il faut avoir une vision large et stratégique des choses.

 

mélenchonMélenchon fait un boulot très difficile : ramener au vote beaucoup de gens aigris et dépolitisés. Il leur réapprend toutes sortes de données basiques qu'ils ont perdues de vue. Cela lui demande une énergie folle d'autant qu'il se bat contre un système idéologique qui lui est très défavorable. Je ne suis pas du tout convaincu qu'il ferait mieux en brandissant le drapeau français un peu plus haut, en annonçant la rupture avec l'Europe etc, car quoi qu'on en dise, beaucoup de gens n'ont pas du tout les idées claires sur l'Union européenne, même parmi les nonistes, et trouveraient le leader du Front de Gauche "rouge-brun" s'il allait trop loin sur ce terrain.

Je ne crois pas non plus que les ouvriers abandonneraient le Front national simplement parce que Mélenchon serait plus dur contre l'Europe. Ainsi mon père,ouvrier à la retraite, ne vote pas Front national, mais est convaincu que le RER à Paris fonctionne mal "à cause des syndicats". Le divorce entre le Front de Gauche et les ouvriers du privé ne tient pas seulement à l'Europe.

Les gens comme Edgar sont trop polarisés sur le vote et les programmes, et pas assez sur les dynamiques historiques. Mélenchon défend une culture de la VIe république, de la mobilisation des masses etc. Cette culture, si elle arrive à se développer, entrera d'elle même en conflit avec l'oligarchie européiste. Il est dommage de cherche à l'entraver.

 

mitterrand

Je pense que le lectorat très "middle class" (pour ce que je peux en deviner) du blog "La lettre volée" (comme du mien) gagnerait davantage à s'ouvrir au potentiel de ce mouvement porté par le Front de gauche (petits fonctionnaires, étudiants, salariés syndiqués) et travailler avec lui, plutôt que de s'en tenir à une posture ironique et moralisatrice à son égard.

 

kim-jong-ilBien sûr on a toujours des raisons de se méfier des égarements de la gauche de la gauche. Mon propre héritage familial m'inciterait plutôt à suivre Edgar dans certaines de ses méfiances, quand je vois combien les Républicains espagnols ont été cocufiés par le Parti communiste (et, dans la branche française de mes antécédents l'anticommunisme est aussi ancré), ce pourquoi d'ailleurs dans mes jeunes années, je votais pour le Parti socialiste et non pour l'extrême gauche. Mais il faut dépasser les héritages familiaux, les nostalgies identitaires (qui poussent tant de gens dans le Sud-Ouest notamment à voter encore socialiste) et, face à la sclérose inéluctable du système actuel entièrement soumis aux intérêts des plus aisés, il faut oser l'expérience d'une poussée populaire organisée pour un changement de système, quels qu'en soient les risques, et quelles que soient les erreurs que cette poussée puisse commettre. Il faut voter Front de gauche.

 

Bon voilà qui est dit. Mais pour montrer que je ne suis pas sectaire, dans un esprit républicain de respect pour ceux avec lesquels je suis en désaccord, je termine ce petit billet en saluant les qualités de débatteur de Jean-François Coppé. Je les avais déjà constatées en d'autres occasions, je les vérifie dans la dernière "confrontation" qu'il a eue avec la journaliste Audrey Pulvar (cf vidéo ci-dessous). L'homme garde son sang froid, son sourire et sa courtoisie. C'est remarquable. La journaliste n'est pas totalement en tort : son style d'interview est fréquent dans le journalisme du monde anglosaxon, plus dénué de complaisance que le nôtre (encore qu'outre-atlantique et outre-manche il ne remettre jamais non plus en cause les cadres communs de pensée de l'intelligentsia). La journaliste a cependant le défaut de mener l'intérrogatoire à partir d'une posture trop visible de "femme de" et surtout "sympathisante de", alors que tout le monde sait qu'elle n'en ferait pas autant face à un socialiste. Donc un bon point pour M. Copé. Je ne pense pas que M. Juppé (qui est sans doute un des responsables de l'UMP que je déteste le plus, en raison de son art d'envelopper d'arrogance le cynisme le plus éhonté, dans l'affaire libyenne notamment) aurait fait aussi bien ...

 

Au fait, puisqu'on parle de M. Juppé, alors, d'après vous, M. Sarkozy a-t-il oui ou non reçu un financement de M. Kadhafi ? Et la Libye, va-t-elle éclater ? La somalisation comme modèle d'émancipation de toutes les nations des bords de la Méditerranée. Ou éthiopisation (vassalisation) ou somalisation.  De jolies perspectives....

 

 

 

 

 

 

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L'optimisme de Jean Viard dans Libé

10 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous

Journaux-3-2.jpgVoilà le genre de sociologue que Libération apprécie (trois pleines pages pour lui) et qui est aux antipodes de mes valeurs et de mes analyses : Jean Viard, sociologue de la "mobilité" et du bonheur écolo-libéral de centre gauche (une sorte de nouvel Alain Touraine). Partant du postulat que les trois quarts des gens sont heureux (puisqu'ils le disent dans les sondages) il entreprend de légitimer le monde tel qu'il va - "Avec Carrefour je positive". Bien sûr il ne lui vient pa à l'esprit que les gens dans les sondages disent qu'ils sont heureux simplement pour ne pas entrer dans la case des "malheureux" stigmatisée, infâmante, et qui ouvre la porte à la miséricorde paternaliste. J'avoue qu'en ce qui me concerne je répondrais "sans opinion" à ce genre de sondage tant les catégories "malheureux" ou "heureux" me paraîssent dépourvues de sens.

 

Le postulat de Viard me semble erronné : l'opinion affichée des gens n'est pas un critère de leur bien-être réel, et s'ils étaient si bien dans leur peau nous ne battrions pas les records de consommation de psychotropes.

 

Pour vous persuader de l'inanité des thèses de ce sociologue, lisez ce paragraphe :

 

"La discontinuité des pratiques sociales est la règle de nos sociétés. On vit désormais des séries de vies. Avant, on pouvait dire que l’on avait réussi sa vie lorsque tout le quartier se pressait à l’enterrement. Aujourd’hui, ce qui est important, c’est de pouvoir raconter cette vie : «Il a travaillé à Libé, après il a fait un élevage de chèvres, il a trouvé une nana absolument géniale, puis il a été cinq ans en couple homosexuel - on n’aurait jamais cru ça de lui.» Du coup, tout ça devient passionnant. Au risque d’insister, avant, on faisait l’amour 1 000 dans sa vie. Maintenant, c’est 6 000 ! Et si vous le faites 6 000 fois de la même manière, ça devient ennuyeux à mourir. D’où les films érotiques, les pratiques différentes, les aventures…"

 

Voilà encore un publiciste qui oublie de réfléchir. Faire l'amour 6 000 fois, comme une gymnastique, parce que les sexologues disent que c'est bon pour la tension artérielle, quel intérêt ? (à part enrichir les coach, les fabriquants de viagra, et culpabiliser les abstinents ?). Est-il si formidable d'avoir "trouvé une nana géniale" puis de l'avoir perdue ? Si elle était si géniale c'est un drame. Si ce n'est pas un drame c'est qu'elle n'était pas géniale. Et voyez l'envers de cet énoncé : il a bossé à Libé, puis il a élevé des chèvres, il a eu une nana, puis il a été homo, ça veut dire : il n'avait pas de raison de prendre son job au sérieux puisque c'était provisoire, il savait que sa relation sentimentale n'allait pas durer, puisque ce n'était qu'une séquence de vie, il savait qu'elle le plaquerait ou qu'il la plaquerait, que c'était juste affaire de consommation, et de contrat à durée déterminée. L'éphémère autrefois subi avec un brin de mélancolie, aujourd'hui érigé en norme et source de "bonheur" (bonheur de pacotille bien sûr). Société de la "résilience" : n'aimer personne, ne s'attacher à rien, ne jamais être triste, ne pas s'investir, jamais, zapper, toujours zapper, ne jamais être fiable, ne pas être la personne sur qui on peut compter, parce que soi même on ne compte sur rien, et donc on ne compte pour rien.

 

Cet éloge de la "discontinuité" est un pur nihilisme totalitaire... à l'image du journal qui en est le support.

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Femmes, révolutionnaires et aristocrates : Heilwige Bloemardinne

8 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Les rapports hommes-femmes

bruegelNe soyons pas chiches en cette Journée de la Femme, dans l'évocation de ces femmes étonnantes qui furent à la fois aristocrates (ou grandes bourgeoises) et révolutionnaires, et qui, du fait du cumul de ces qualités antogonistes se ménagèrent une sorte d'immunité qui leur permit de mourir de leur belle mort. Nous avons cité Alexandra Kollontaï un peu plus bas. En voici une autre que l'historien Raoul Vaneigem dans un livre de 1986 sort heureusement de l'oubli : Heilwige Bloemardinne (ou Bloemart).

 

Bruxelloise, née vers 1265, morte 70 ans plus tard, elle est comme beaucoup d'hérétique surtout connue par un de ses détracteurs, Henri Pomerius. Selon lui cette dame, sans doute fille d'un échevin, siégeait sur un fauteuil d'argent qui fut offert à la duchesse de Brabant à sa mort. Les gens la croyaient entourée de séraphins quand elle allait communier et après son trépas "les estropiés touchèrent son corps défunt en pensant ainsi recouvrer la santé".

 

Pourtant Bloemardinne, comme beaucoup d'hérétiques, réhabilitait les bas plaisirs. Elle soutenait qu'en faisant preuve d'une absence totale de volonté (d'agir, d'aimer, de prier, de connaître etc), dans une sorte de pure passivité, et d'oisiveté radicale, on accédait à l'innocence et à l'union complète à Dieu qui fait qu'ensuite il n'y a plus de faute, même à s'abandonner à ses plus vils instincts.

 

Vaneigem raconte que l'Inquisition n'osa pas intervenir en 1529 contre les Alumbrados de Séville parce que des membres de grandes famille en faisaient partie. 300 ans plus tôt cette béguine dissidente radicale qui rejette l'Eglise, les prêtres et les jours saints, aurait elle aussi échappé à l'Inquisition grâce à son rang social et à ses soutiens chez les riches bruxellois.

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Alexandra Kollontaï dans la presse française

8 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

Mes amis, je ne le dirai jamais assez : il ne faut pas se fier aux historiens, à tous ces universitaires qui lisent les archives "pour nous", et nous les livrent à travers leurs préjugés et leurs biais personnels. Allons "aux choses mêmes" pour parler comme Husserl. Bravons la mauvaise humeur des bibliothécaires et les horaires d'ouvertures impossibles qu'ils nous imposent et allons chercher les documents d'origine ! Je vous ai parlé récemment de cette bibliothèque des années 70 mentionnée dans un livre sur Alexandra Kollontaï. Hé bien elle existe toujours bien qu'elle ait déménagé, et le dossier de presse d'il y a 40 ans sur cette communiste russe, théoricienne de la liberté sexuelle, première femme ambassadrice y est toujours, avec les coupures de la presse sur sa carrière diplomatique.

 

Alors amusons nous un peu. Examinons ces archives dans le détail (car bien sûr c'est là que se trouve le diable, et nous savons que les universitaires ont souvent une manière bien à eux de les glisser sous le tapis - ce qui est particulièrement vrai pour Mme Kollontaï puisque ne s'y intéressent que les féministes de gauche).

 

Lisons.

 

K1.JPGTout d'abord quelques informations sur sa jeunesse. On les trouve dans un article de pleine page du 29 janvier 1938, lorsque Henri de Val et Roger Vaillant dans Paris-Soir Dimanche se demande si Kollontaï ne va pas être nommée en Chine.

 

Les auteurs effectuent une retour très romanesque sur la jeunesse de Kollontaï. Ils racontent que pour éviter qu'elle ne se fourvoie trop longtemps avec l'extrême gauche, son père, le général Tomantovitch l'avait mariée à un colonel (Kollontaï). Mais celui-ci ne put la dompter. "On parla beaucoup, ces années-là, à Pétersbourg, écrivent-ils, d'une jeune femme très belle et très élégante qui surgissait à l'improviste dans les réunions clandestine. Sa parole passionnée enflammait les ouvriers (...) Quand la police surgissait, elle disparaissait toujours à temps pour ne pas être prise. On fouillait en vain tous les garnis de la capitale pour trouver son repaire. La police ne pensait évidemment pas à aller perquisitionner chez le colonel Kollontaï, cet officier d'un loyalisme à toute épreuve. Aussitôt arrivée chez elle, l'oeil encore enfiévré par les discours qu'elle venait de prononcer, encore haletante des dangers qu'elle venait de courir, Alexandra se plongeait dans un bain parfumé puis elle dévorait un roman français ou anglais (elle parlait couramment les deux langues et quelques autres) ou accompagnait son mari au Palais Impérial ou au Théâtre Michel"". Ca a un côté "Bain de la femme du monde", film coquin des années 1900 que Godard glisse dans "Les carabiniers".

 

Dans la presse on trouve aussi mention de sa participation à la grève des ménagères en France en 1911 où elle aurait été arrêtée (cela ressort d'un document sans titre non daté mais semble-t-il écrit en 1926 car il signale la prochaine affectation de Kollontaï au Mexique signé par Andrée Viollier, journaliste mi-admirative mi-sceptique qui se demande si la liberté accordée aux femmes aux USA et en URSS leur apporte du bonheur).

 

Dans l'Illustration du 20 septembre 1924 un certain "S. de C.", sous une photo du carrosse de l'ambassadrice à Christiania (Oslo), annonce que Mme Kollontaï qui avait été envoyée par Moscou en 1922 comme chargée d'affaire auprès du palais royal norvégien vient d'être promue au grade d'ambassadrice, première femme au monde à porter ce titre. S. de C. rappelle que jusque là il n'y avait eu que deux diplomates femmes dans le monde : Mme Kollontaï et Mlle Stanciof, fille de l'ancien ambassadeur de Bulgarie, nommée secrétaire de légation. On peut se demander si tout cela est vrai puisque six mois plus tard le Petit Journal (Jean Lecocq) du 25 février 1925 précise que Mme Rorzika Chwirmer fut nommée en 1918 "au lendemain de la déchécance des Habsbourg" ambassadrice de Hongrie à Berne  mais qu'elle en fut rappelé à cause de ses "dépenses chez les couturiers et chez les modistes" (sic).

 

S. de C.insiste sur le fait que la nomination de Kollontaï est moins due à la fibre féministe du ministre des affaires étrangères soviétique Tchitcherine qu'à la volonté des dirigeants de se "décapiter" la tendance de gauche dite "opposition ouvrière", puisque son autre dirigeant Valérien Ossinsky (qui n'intéresse Wikipedia qu'en russe et en allemand) est nommé ambassadeur à Stockholm. L'Illustration s'amuse beaucoup de voir Ossinsky "en habit et cravate blanche".

 

S. de C. explique que Mme Kollontaï a déjà obtenu la reconnaissance du Kremlin par la Cour royale, réglé le conflit territorial de l'archipel de Spitzberg et "reçu la garantie de l'Etat norvégien pour l'achat à crédit du hareng de bergen et de Trondhjem, très apprécié au pays des Soviets"... sans oublier de donner des "conférences sur l'amour libre devant la jeunesse universitaire norvégienne".

 

L'article insiste sur la nostalgie de Kollontaï pour ses origines aristocratiques (un sujet que Judith Stora-Sandor dans sa présentation des écrits de Kollontaï il y a quarante ans glissait un peu rapidement sous le tapis en disant que la théoricienne s'en était toujours défendue). L'Illustration parle d'un premier meeting au printemps 1917 après la chute de tsar, où Kollontaï prit la parole "sur la dunette d'un cuirassé, dans une toilette mauve tendre si impressionnante que les matelots, n'osant traiter de "camarade" une prolétaire aussi bien huppée, l'acclamèrent aux cris de "vive madame" " (sic). Dans beaucoup d'articles on parle de ses tenues en fourrure commandées rue de la Paix à Paris.

 

L'Illustration signale un bel immeuble acheté par l'URSS pour sa légation à Oslo, et une faucille et un marteau en rubis et diamants épinglés à la robe de la dame lors des soirées (le détail semble quand même trop pittoresque pour relever de la légende.

 

(Notez qu'un livre de 1937 partiellement en libre accès sur le Net,  "L'ambassadrice" (ed Fernand Sorlot) d'une certaine Nathalie de Raguse résume purement et simplement l'article de l'Illustration, y compris l'histoire des harengs de Bergen, pour son chapitre sur Kollontaï... pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?  Sauf qu'elle parle des manteaux en chinchilla de Kollontai et pas de sa robe mauve. La seule plus-value du chapitre de de Raguse est son passage sur la fanfare royale qui refuse de jouer l'Internationale, ce qui me rappelle la lettre de Clemenceau sur le frère du tsar obligé d'entendre la Marseillaise).

 

Pendant les années 20, la presse française évoque assez souvent les initiatives de Kollontai comme commissaire du peuple à l'assistance sociale, puis comme ambassadrice.

 

En 1926 le Petit journal annonce un risque de rappel de de Mme Kollontaï à Moscou du fait de ses dépenses vestimentaires excessives "On lui reproche d'avoir fait venir de Paris cinquante robes par an" (Le Petit Journal du 22.2.26). Elle menace alors de quitter la carrière diplomatique. L'Intransigeant du même jour dit simplement que le gouvernement d'URSS a décidé de réduire de 35 % son budget du fait de l'achat de ses 50 robes par an ce qui l'a poussée à démissionner. L'Esktrabladet de Copenhague de mai 1926 à l'occasion d'un de ses passages au Danemark fait aussi état d'un rapport Boukharine sur des purges qu'elle aurait imposées au PC norvégien scindant le PC en deux et provoquant la pagaille. Le 10 septembre 1926 Le Quotidien annonce sa nomination au Mexique,qu'un autre article sans titre qualifie de "terre promise des révolutions". L'année précédente (3 février 1925), ce journal avait aussi rendu compte de ses positions sur la loi sur le mariage en URSS. Quand donc en 1926 Andrée Viollier (cf plus haut) l'interviewe à Moscou avant sont départ pour Mexico, alors qu'elle s'attendait à entendre dans sa bouche une apologie choquante de l'amour physique comme dans son roman de 1922 "Abeilles diligentes", elle la trouve assagie. "L'âge et l'expérience l'ont-ils fait évoluer ? Elle ne nie plus l'importance de la famille" note-t-elle.

 

29 janvier 1938, Henri de Val et Roger Vaillant dans Paris-Soir Dimanche reviennent sur ses années passées en Norvège, et soulignent que "Le roi Hakon se plaisait à bavarder avec elle. On vanta  son charme, sa culture, son tact, ses manières irréprochables, sa correction politique.

 

Ils ont des mots amusants sur son nouveau mari le "grand blond" barbu Dybenko, matelot avec qui elle ne fut que quelque temps à Oslo avant qu'il ne fût nommé officier artilleur dans l'Oural.

 

Selon de Val et Vaillant, lors de l'adoption de 2ème plan quinquennal en 1932, elle se serait exclamée : "On peut rester bonne communiste tout en s'habillant avec élégance et en employant du rouge et de la poudre." Aussi la première usine de produits de beauté construite en URSS s'appela-t-elle l'usine Kollontaï...

 

La revue Française (Colette Muret) du 30 novembre 1938 explique que Kollontaï au nom de l'URSS a fait inscrire la question de "l'égalité des droits de la femme" à l'ordre du jour de l'assemblée de la Société des Nations (SDN), mais que le sujet fut renvoyé en commission et que la bataille sera rude.

 

Je trouve que ces sources des années 20 et 30 sont d'un apport précieux par rapport aux écrits plus récents. D'abord ils montrent une fois de plus que les gens de Wikipedia sont des abrutis, eux qui dans leurs discussions en sont encore à se demander si Kollontaï été ambassadrice à la SDN et dans le doute ne l'ont toujours pas mentionné dans leur article (alors qu'au moins cela figure sur le Wikipedia en anglais). Mais bon, la nullité de Wikipedia n'est plus à démontrer.

 

K2.JPGIl révèle aussi que Judith Stora-Sandor eût tort d'écarter d'un revers de main comme s'il ne s'agissait que de clichés machistes la polémique sur les achats de robes de Kollontaï du temps où elle était ambassadrice à Oslo(*), car cette polémique fut centrale tout au long de 1926 et elle faillit lui coûter son poste. Le fait que les féministes passent cela sous silence, comme elles oublient que la première ambassadrice de l'histoire ne fut pas Kollontaï, mais une ambassadrice hongroise à qui Budapest reprocha aussi ses excès d'achats de robe n'est pas anecdotique. Cela montre que la culture intellectuelle et intellectualiste féministe contemporaine a un vrai problème avec cette culture matérielle spécifique qui caractérisait les grandes dames des années 20-30, et qui a concerné beaucoup de femmes à beaucoup d'époques (et encore aujourd'hui) : ce rapport au beau textile, au beau vêtement dont il n'est pas du tout certain qu'il soit le fruit d'une simple aliénation patriarcale de la femme (n'y a t il pas plutôt une aliénation spécifique des intellectuelles qui écrivent l'histoire des femmes dans leur refus de voir ce qui se joue dans le rapport de leurs consoeurs aux belles robes ?).

 

Le rapport au vestimentaire, comme les bonnes manières décrites par la presse, étaient des caractéristiques de Kollontaï qui la rattachaient inconstestablement à l'aristocratie, et que les petites bourgeoises qui écrivent aujourd'hui sur elle n'aiment pas trop, alors que cela la rendait sympathique à la presse mondaine française (et cela humanisait à ses yeux la révolution soviétique).

 

Son aristocratisme mêlé de ferveur révolutionnaire sincère lui valut sans doute beaucoup de respect en URSS où la fascination pour le noble n'a jamais complètement disparu. Il explique peut-être son extrémisme gauchiste (je crois que Bourdieu a évoqué dans ses écrits sur mai 68, que les héritiers étaient plus volontiers portés vers la radicalité, une radicalité toujours très abstraite cependant, il le dit aussi des étudiants communistes de normale sup des années 50 dans son autoanayse posthume).

 

On trouve sur le Net en anglais un extrait du journal de Kollontaï de novembre 1939 qui relate une de ses discussions avec Staline. On y découvre une Kollontaï bouleversée par l'annonce par Staline de l'approche de la guerre mondiale. Elle laisse tomber son carnet de notes, est profondément émue. C'est une personne désemparée. Devant se témoignage on peut se demander si Alexandra Kollontaï n'était pas surtout une femme brillante pour la polémique révolutionnaire - dans ses écrits, et dans les débats à la tribune - ainsi qu'une fine diplomate et une bonne ministre des affaires sociales (qui remporta des succès uniques en leur temps dans la promotion des femmes, y compris dans les fonctions politiques), mais, à côté de cela, une piètre organisatrice et une femme très peu faite pour faire face aux grands enjeux que soulèvent les conflits armés (à la différence d'une Margaret Thatcher très à l'aise dans ce domaine). Ainsi ce qui est présenté comme une sorte d' "exil" que le gouvernement soviétique lui aurait imposé en la cantonant dans des fonctions diplomatiques n'aurait pas été tant que cela une sanction comme on le sous-entend aujourd'hui. Dans une URSS toujours menacée par l'Allemagne et les puissances capitalistes, Alexandra Kollontaï s'est peut-être trouvée affectée dans les fonctions où elle pouvait être réellement la plus utile.

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(*)JSS à propos de la période du communisme de guerre (p. 18) "Kollontaï de la réédition de "Marxisme et révolution sexuelle" chez La Découverte : "Kollontaï fut beaucoup critiquée pour son élégance, son goût pour les vêtements de bonne coupe. Elle en conçut une certaine amertume, surtout quand les critiques lui ont été adressées lors des périodes de dénuement où elle ne possédait qu'une seule robe qu'elle devait porter avec beaucoup de distinction" (sic - même sur cette période la presse disait que sa famille lui envoyait de l'argent de l'étranger). Et sur 1926 : "Les journaux parisiens de l'époque décrivent avec une complaisance ironique ses toilettes, avec photos à l'appui. On a insinué que le gouvernement soviétique lui avait adressé des blâmes et même des menaces de rappel à cause de ses 'frais de représentation' trop élevés" : en fait il s'agit plus que d'une insinuation - une thèse corroborée par le précédent hongrois - et il n'est pas question de blâmes ou de menace de rappel, mais bien d'une diminution de 35 % du budget qui aboutit à une menace de démission de l'intéressée (JSS a peut-être lu le "dossier de presse" en diagonale...)

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