Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Frédéric Delorca

Suite de la visite de l'histoire de France à travers les yeux de la droite

16 Décembre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Est-il vrai que, comme le soutient Bernanos sur la base d'une interview de Werlé, maire de Ferrières, dans Le Figaro Bismarck n'aurait pris à la France que 5 km le long du Rhin et Strasbourg si celle-ci avait accepté l'armistice plus tôt en 1870 ? Bernanos a en tout cas des mots intéressants - un peu les mêmes que Flaubert - quand il décrit cette fièvre révolutionnaire républicaine un peu théâtrale qui s'empare du peuple français après la chute de Napoléon III. Les raisons de la chute de l'empereur d'ailleurs sont d'ailleurs évoquées en des termes convainquants par l'auteur : cette idée que l'il entretenait à la France le rapport d'un amant illégitime à une maîtresse qu'il couvre de cadeaux et demande régulièrement "m'aimes-tu ?" à travers ses plébiscites, en sachant qu'il ne pourra jamais l'épouser. Un pouvoir illégitime, mal assuré.

 

fusiltab.jpgTout de même cet imaginaire de la levée en masse, cette conviction quasi-religieuse qu'elle aboutira à un Valmy miraculeux, à l'image de cet ouvrier français qui se jette avec une baïonette sur les flancs d'une soldats prussien. Bernanos (qui esquisse aussi une comparaison intéressante avec la résistance espagnole des années 1810) décrit magistralement cette superstition comme Flaubert le fait de la Commune (d'ailleurs saluons l'honnêteté avec laquelle Bernanos dénonce, comme Flaubert, la bassesse de la répression versaillaise). L'Histoire se répète sur le mode de la comédie comme l'avait noté Marx (un peu comme, si l'on veut, le hollandisme aujourd'hui est une répétition comique du mitterrandisme de 81, nous y reviendrons un jour), et il n'y eut pas de second Valmy. La fièvre de 1870, nos professeurs nous apprirent à la considérer comme une résurgence "normale" de l'instinct républicain de notre peuple, pourtant le phénomène n'a rien de normal, et il n'y a rien de normal dans le fait de voir un Gambetta, un homme fraîchement naturalisé comme le note Bernanos, envoyer des tas de pauvres bougres au casse-pipe avec des "fusils à tabatière"...

 

Etrange que la mystique révolutionnaire ait si bien fonctionné en France en 1870, alors que les Républicains étaient si minoritaires dans le pays. Tout le monde y a vu l'effet d'un fond chimérique de l'esprit français, en retard à maints égards sur le "positivisme" prussien. La création de Sciences Po est née de là, à l'époque, la volonté de remédier à la bêtise d'un peuple à travers la regénérescence de ses élites.

 

Etrange a contrario que cette mystique-là n'ait pas du tout marché en 1940, pas même dans les rangs des marxistes, alors qu'il y eut un appel dans ce sens lancé par le communiste Charles Tillon à Bordeaux le 17 juin. On peut pousser plus loin encore l'étonnement philosophique : pourquoi n'y eut-il pas de sursaut révolutionnaire à Bagdad à la chute de Saddam (qui était le Napoléon III de son pays) en 2003, face à l'invasion US ? Question faussement naïve, bien sûr, qui nous aide juste à mesurer le fossé entre le monde actuel et celui de 1870.

Lire la suite

Encore un pas sur le sentier de Bernanos

15 Décembre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

"L'activité bestiale dont l'Amérique nous fournit le modèle, et qui tend déjà si grossièrement à uniformiser les moeurs aura pour conséquence dernièr de tenir chaque génération en haleine au point de rendre impossible toute espèce de tradition. N'importe quel voyou, entre ses dynamos et ses piles, coiffé du casque écouteur, prétendra faussement être à lui-même son propre passé, et no arrière-petits-fils risquent d'y pedre jusqu'à leurs aïeux" (Bernanos, "La grande peur des bien-pensants", 1930 p. 50). C'est assez bien vu non ? Et ça ne vous rappelle rien ? Oui, le point de vue sur l'Amérique de ce vieux communiste d'Anatole France trois ans plus tôt que j'évoquais ici il y a 8 mois.

 

bernanos.jpg

Je ne devrais pas lire les auteurs d'il y a cent ou deux cents ans. Mon pote le blogueur Edgar me l'a sorti déjà il y a un mois à propos du côté XIXe siècle de Mélenchon, qu'il ne fallait pas vivre dans le vocabulaire de ces époques lointaines parce que "c'était avant Auschwitz"... Il aurait d'autant plus raison que là, dans Bernanos, il y a de l'antisémitisme ouvert (même s'il s'est "racheté une conduite" avec la guerre d'Espagne). Sauf que je ne peux pas m'arrêter à ça, parce que de l'antisémitisme il y en a tellement dans la première moitié du XXe siècle. J'en trouve des traces même dans la correspondance de Clemenceau... Il faut bien lire Platon malgré sa haine de la démocratie, et Bernanos malgré son antisémitisme de jeunesse, on ne peut pas faire autrement. Même Elie Wiese le dit dans "Le Mal et l'Exil" alors...

 

En fait je ne sais pas trop pourquoi je lis Georges Bernanos ou George Sand (tiens deux Georges...), ni pourquoi je suis content de retrouver chez l'un et l'autre le même surnom donné à Napoléon III : Badinguet. Si je suis Edgar, puisque tout ça se passait avant Auschwitz, ou, du point de vue de quelqu'un de plus jeune encore, avant les ordinateurs, il n'y aurait rien à en tirer. Mais précisément : ils sont nos aïeux, et nous sommes leurs arrières-petits-enfants (arrière-arrière-arrière-arrière pour George Sand) dont Bernanos craignait que nous les oubliions... Je les écoute donc sans les juger, en admettant leur droit à l'erreur et au délire. Je les écoute pour comprendre, pour saisir de quel monde on vient, de quelle France, sans le regard biaisé et fade des historiens.

 

J'écoute souvent sans comprendre, et souvent aussi sans retenir. Du précédent livre de Bernanos "Les enfants humiiés" je n'ai rien retenu du tout, et j'ai trouvé, sur le même sujet, Ernst Jünger plus juste, allez savoir pourquoi. Je ne sais pas ce que je retiendrai de "La grande peur des bien-pensants". Peut-être rien non plus. Pourtant là tout de suite, je retiens des formules saisissantes. Parfois il y en a trop, beaucoup trop, on s'y perd, et cela perd toute saveur. Parfois on rencontre un mot juste, des détails inattendus qui s'entrechoquent. Parfois on se demande pourquoi on prend un livre plutôt qu'un autre. Pourquoi je préfère acheter un Bernanos que finir de lire les mémoires du Cardinal de Retz, qui traînent dans ma bibilothèque, et dont Bernanos cite le nom (mais me replonger dans le XVIIe siècle me demanderait beaucoup d'effort). Pourquoi Bernanos me donne envie de relire Péguy. Sans doute parce qu'il a une drôle de façon de parler de Victor Hugo, comme c'était aussi le cas de Péguy. Pourtant jusqu'ici à chaque fois que j'ai rôdé autour de Péguy, je n'en ai rien tiré de plus que de Bernanos. Juste le souvenir d'une langue bizarre, d'odeurs d'un pays disparu. C'est peut-être cette odeur que je recherche. Mais pourquoi ? Pour en faire quoi ?Moi qui suis un progressiste, grand défenseur de la liberté du reggaeton, des innovations technologiques et des pays émergents... Allez, je vous en dirai plus quand j'aurai avancé davantage sur le sentier de Bernanos.

Lire la suite

De Mélenchon chez Assange à l'interdiction du reggaeton à Cuba

14 Décembre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Revue de presse

Vous le savez, ce blog est un blog qui à l'occasion, sans démagogie ni esprit de facilité, donne la parole aux sans-voix. Je dois donc signaler premièrement le papier intéressant de Jean-Luc Mélenchon sur Julian Assange (les derniers paragraphes cet article) riche en informations que vous ne trouverez pas ailleurs, et aussi la situation de la journaliste russo-ukrainienne Ankhar Kotchneva enlevée par les rebelles extrémistes syriens d'Homs que ceux-ci ont menacé d'exécuter cette semaine. Les récits d'exactions commises par l'opposition syrienne sont nombreux et particulièrement barbares (par exemple la vidéo d'un enfant du camp rebelle décapitant un officiel syrien). Il se passe des choses épouvantables dans cette guerre civile - on connaît les billets sur le net sur les employés de l'Etat, des facteurs par exemple, tués simplement parce qu'ils sont payés par l'Etat. On ignore si le camp gouvernemental est pire que l'opposition, et personnellement je ne prends nullement parti dans ce conflit intérieur, mais puisque les médias occidentaux minorent les crimes commis par les rebelles, il faut aussi en dire un mot, et pas seulement d'alleurs des crimes d'Al-Nosra à Alep (Al-Nosra justement inscrite par les Occidentaux sur la liste des organisations terroristes cette semaine).

 

J'ai lu cette semaine les considérations de M. Chevènement sur le monde arabe. Rien de très passionnant sauf cet appel in fine au partenariat stratégique avec le Maroc et l'Algérie (mais peut-on s'allier aux deux en même temps ?) contre le progrès de l'islamisme financé par les pétro-monarchies. Mais au fond qui peut se targuer d'avoir la moindre stratégie viable en direction du monde arabe aujourd'hui ? Même les Etats-Unis me paraissent surtout voués à l'improvisation dans leurs compromis difficiles avec les Frères musulmans. Avez-vous vu que Julien Dray milite ouvertement contre l'influence économique du Qatar en France ? Peut-être cette position lui fut-elle dictée par la visite des autorités qatariennes (mot consacré par le dictionnaire autrefois) à Gaza avant l'attaque israélienne. Elle est en tout cas utile à la République.

 

A part cela je suis étonné de voir l'ancien préfacier de l'Atlas alternatif accuser le think tank socialiste Terra Nova d'organiser une répression contre les antiimpérialistes de gauche. A mon avis un tel think tank n'a ni les moyens ni la volonté d'aller ennuyer quelques scribouillards marginaux. Ca ne tient tout simplement pas debout...

 

concentr.jpgMais revenons à un sujet plus important : Cuba veut interdire le Reggaeton... En 2007 le régime chaviste faisait de même au Venezuela, mais seulement dans l'Etat de Zulia, semble-t-il, et seulement dans les écoles. Mme Ligdy Arandia, chef de la division des établissements publics et privés du secteur cultirel avait expliqué à l'époque que les mouvements sexuels du reggaeton avait quelque chose à voir avec les grossesses prématurées, les abandons d'enfants, les ruptures familiale. Cette interdiction a aussi été appliquée dans les écoles au Nicaragua, en Espagne, au Honduras, au Salvador etc. La droite trouvait cela hypocrite à l'époque alors que des filles presque nues dansaient dans les "concentrations" chavistes. Les interdictions de certaines danses dans les écoles ont un sens. Au niveau d'une nation, et qui plus est d'une nation révolutionnaire, je ne le crois pas. "Alexandra Kollontaï relève toi, ils sont devenus fous"... comme aurait pu chanter l'autre...

Lire la suite

Interview de Delorca dans le principal journal abkhaze

11 Décembre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Abkhazie

P1020576.JPGOn trouvera ci-dessous une photo de la page du journal La Vérité de Chégem (Chegemskaya  Pravda -"Чегемская правда") d'aujourd'hui dans lequel est publié l'interview de F. Delorca, auteur de "Abkhazie, à la découverte d'une 'République' de survivants" (eds du Cygne) par Marina Iosifyan. Comme la version initiale en français était plus longue, la voici in extenso.

--------------------

- En Russie et surtout en France j’ai  assez souvent rencontré les gens qui ne connaissent pas l’Abkhazie. Quand vous-mème vous avez entendu quelque chose sur l’Abkhazie la première fois? Pourquoi ce pays vous avez intéressé ?
 
- J’ai dû en entendre parler en 1991-92 au moment des guerres du Caucase, puis dans certains travaux d’anthropologues (je suis docteur en sociologie)s, mais c’est vrai que c’est le genre de pays dont on ne retient pas forcément le nom. Ayant coordonné l’Atlas alternatif en 2005, je me suis intéressé de près aux relations internationales, aux sources de tensions autour de conflits gelés (j’étais en Transnistrie en 2007) et notamment à la guerre entre Russes et Géorgiens en 2008. Donc quand on m’a proposé de faire du contrôle électoral en Abkhazie je n’ai pas pu refuser.

- Comment évaluez vous la couverture de la situation en Abkhazie par les média en France et en général en Europe?

- L’Abkhazie est un pays qui compte peu du point de vue français. La France s’intéresse assez peu à l’espace postsoviétique surtout quand il n’a pas de frontières communes avec l’Union européenne. En outre on sait que le point de vue géorgien sur la question abkhaze est très bien relayé auprès de la classe politique américaine, et aussi auprès des milieux dirigeants européens et français (au Quai d’Orsay par exemple). Nos médias n’ont pas beaucoup  de moyens pour enquêter sur place et n’ont pas d’intérêt économique particulier à se forger leur propre opinion sur l’Abkhazie. Donc ils ont repris largement à leur compte le point de vue géorgien. Je préfèrerais pour ma part qu’ils aient un point de vue plus impartial. Mais hélas c’est un problème qu’on trouve dans beaucoup de conflits

- Est-ce que votre image d’Abkhazie (que vous avez eu avant votre voyage) est changée pendant le temps que vous avez passé en connaissance avec elle ?

- Forcément l’image que j’avais était très sommaire, elle manquait de détails – par exemple j’ignorais tout du climat, de la personnalité des gens (et j’en ignore encore beaucoup). Sur le plan politique je crois que j’avais sousestimé la complexité des rapports des Abkhazes avec leurs voisins. Par exemple, je les croyais aussi pro-russe que les Ossètes du Sud, mais en fait j’ai appris que les choses étaient plus compliquées.

- Quand vous étes arrivé  en Abkhazie, il me semble que vos représentations sur ce pays restaient comme une « feuille blanche ». Donc ce qui m’intéresse c'est comment les représentations sur l’Abkhazie se sont construites dans votre téte ? Comment vous avez réussi à construire l’avis non contradictoire sur ce pays ? Parce que dans votre livre il y a beaucoup d’avis contradictoires sur les mèmes aspects de la vie en Abkhazie. Par exemple, vos compagnons vous disent que les gens gardent chez eux les armes après la guerre est c’est un vrai problème. En mème temps dans l’un de vos interviews il y a une question : « Est-il vrai que les gens ont des armes chez eux ? » la réponse : « Non. Après la guerre il y avait beaucoup d’armes mais le gouvernement a régulé la situation »

- Etre une « feuille blanche » est une ascèse à laquelle tout journaliste et tout chercheur doivent s’astreindre. Il faut apprendre à ne faire totalement confiance à aucun point de vue, ni non plus les rejeter complètement. Il faut apprendre à hiérarchisée ce qui est important et ce qui ne l’est pas, laisser la porte ouverte aux aspects du réel qui nous échappent et qui peuvent encore nuancer le jugement, sans devenir complètement relativiste. J’ai appris à faire cela en 1999 quand j’ai dû me forger ma propre opinion sur la guerre du Kosovo à l’heure où des mensonges sur ce conflit étaient diffusés en boucle partout.  Sur chacun des sujets que vous évoquez, j’ai voulu laisser les témoignages contradictoires tels que je les ai reçus pour montrer que c’est cela qu’on reçoit quand on enquête sur un pays. Mais on voit bien dans la façon dont je les présente que les témoignages sont plus complémentaires que contradictoires, simplement ils ne parlent pas de la même chose. Pour reprendre l’exemple des armes cela se voit bien. C’est un sujet difficile dans tous les pays même en France où il est très difficile de définir les armes létales et où on parle encore de caches d’armes dans les Pyrénées dont je suis originaire. Quand on demande s’il y a encore des armes, certains interlocuteurs pensent à des kalachnikovs, d’autres à des simples armes de chasse. Je n’ai pas les moyens d’aller faire une enquête poussée là-dessus, mais on peut penser que, quelle que soit la bonne volonté du gouvernement, beaucoup de gens gardent des armes pour leur autodéfense. C’est ce qui s’est passé aussi en France après 1945.

- Je voudrais  préciser les autres points contradictoires pour  savoir votre avis sur eux :
1.     Les conditions des femmes : dans votre livre il  y a les temoignages d’une femme abkhaze qui dit  que les femmes en Abkhazie se sentent complétement égales avec les hommes. En mème temps vous avez les témoignages d’un citoyen de Danemark et une femme française qui disent que ce loin d’être la vérité.

- Sur la question de la liberté des femmes, c’est comme pour les armes tout dépend de quelle liberté on parle : celle qui est garantie par l’Etat d’avoir accès à l’éducation par exemple, ou celle plus privée comme celle de pouvoir imposer une volonté indépendante à ses frères ou à son mari. Au travers des divers témoignages on sent bien que l’héritage soviétique a aidé le développement d’une certaine émancipation, mais que dans le cadre familial les traditions perdurent. Et le poids de ces traditions en soi n’est pas forcément incompatible avec la liberté. Car il y a des femmes qui trouvent que le respect des traditions, l’estime que cela leur vaut auprès des autres femmes ou des hommes, est une source de liberté pour elles. C’est aussi une dimension que certaines féministes découvrent en France (notamment en dialogue avec des femmes musulmanes issues de l’immigration) : la manière de vivre sa féminité et sa liberté en tant que femme peut varier beaucoup d’une femme à l’autre.

2.    Le système de la santé : l’avis de vos témoins dans le livre est aussi contradictoire : certains remarquent que le système de médecine est plus humain en Abkhazie que dans les autres pays, certains disent que ce système a des grands défauts.

- Je n’ai malheureusement pas pu visiter des dispensaires ou des hôpitaux. On sait que dans beaucoup de pays qui ont connu le communisme, il existe encore un système de santé gratuit ou bon marché mais de mauvaise qualité, et qu’il faut payer pour tous les suppléments, parfois même pour pouvoir avoir des médicaments efficaces. Ce surplus à payer peut être d’ailleurs déguisé sous forme de cadeau. Je comprends que des Abkhazes qui restent attachés à des valeurs de solidarité très répandues dans le Caucase aient envie de souligner que quand même ces valeurs existent encore dans leur système médical, même si on se doute que les difficultés économiques ont tendance à susciter l’apparition d’une médecine « à deux vitesses » pour les pauvres et pour les riches. Il est bien aussi qu’une Abkhaze arménienne qui connaît les Etats-Unis rappelle qu’en Occident le principe d’assistance aux malades pauvres est aussi bafoué, et peut-être parfois plus qu’en Abkhazie. Ce n’est pas le genre de sujet sur lequel on peut avoir un point de vue simpliste.

3.    Les relations entre les peuples différents en Abkhazie : il y a les témoins qui disent que il n’y a jamais les problèmes avec la compréhension et restrictions de droits entre les abkhazes et les autres peuples en Abkhazie, certains font des allusions sur le manque de compréhension entre les peuples

- Les différences culturelles sont partout  à la fois des sources d’enrichissement mutuel et de tension suivant les moments. On peut tout à fait comprendre que la composition multiculturelle de l’Abkhazie joue un rôle ambivalent de ce point de vue. Mais beaucoup de gens ne peuvent pas avoir une vue d’ensemble. C’est pourquoi les Abkhazes de  l’ethnie abkhaze majoritaire ont tendance à considérer que la société est tolérante. C’est pourquoi il faut interviewer des minorités, et dans mon livre c’est une Arménienne qui remarque que parfois la culture arménienne suscite de la méfiance. Il est normal que les gens des minorités  ressentent plus profondément les signes d’intolérance, et parfois même les exagèrent à partir d’une ou deux réflexions qu’ils ont entendues. On ne peut évidemment pas en tirer de conclusions trop rapides. Il est très probable que, si l’on faisait une étude plus approfondie, on se rendrait compte que la société abkhaze a des comportements à l’égard des minorités culturelles (je ne parle pas des minorités sexuelles c’est une autre question) plutôt proche de la moyenne des sociétés « ouvertes ». En tout cas il n’y a pas de discrimination dictée par les pouvoirs publics, ce qui est déjà très important. (En laissant de côté celui des Georgiens et des Mingréliens, qui est une question liée à la guerre).

4.    Et bien sur la question sur l’histoire de conflit entre l'Abkhazie et Géorgie. Vous avez montré l’avis géorgien dans votre livre. Le lecteur abkhaze est assez bon informé sur cet avis, mais ce que m’intéresse c’est comment vous avez réagi à cet avis  qui est complétement contradictoire avec l’avis d’autres témoignages dans votre livre.

-    Sur l’avis des Géorgiens, je n’ai pas été très surpris car j’ai déjà vu dans les Balkans par exemple comment, dans un contexte de guerre, chacun des protagonistes est enclin à réécrire l’histoire dans le sens qui arrange ses intérêts politiques, aussi bien l’histoire récente que l’histoire ancienne. Personnellement je ne tranche pas entre les deux versions de l’histoire, je pense que ce n’est pas utile pour déterminer les droits des peuples à l’heure actuelle. Savoir si les Apchouas étaient présents à Soukhoum depuis le Moyen Age ou s’ils font partie d’une « invasion récente » en provenance du Caucase du Nord est un sujet sentimentalement important pour les Abkhazes ou pour les Géorgiens, mais il ne me semble pas déterminant pour savoir de quels droits les Abkhazes peuvent se prévaloir. Ce qui compte davantage, c’est de savoir si oui ou non ils ont constitué un véritable Etat depuis 20 ans, et si oui ou non ils s’identifient à la cause indépendantistes de leurs dirigeants (et là-dessus les élections de 2009 ont apporté une réponse). En ce qui me concerne je suis neutre sur la question de nécessité ou pas d'une indépendance de l'Abkhazie, mais je dis juste que les événements des 30 dernières années fournissent des critères de légitimité plus pertinents que ceux d'il y a trois siècles.

- Avec vos savoirs sur la vie en Abkhazie (le système politique, sociale, les relations internationales) comment estimez vous son avenir ? Surtout la reconaissance mondiale de l’indépendance de pays.

- C’est un avenir qui dépend beaucoup de rapports de force internationaux, rapports de forces économiques, mais aussi symboliques. Jusqu’où les pays émergents comme la Russie ou la Chine sont-ils en mesure de faire avancer une vision « non occidentale » de l’avenir du monde au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies. C’est une question très complexe qui ne dépend pas seulement des rapports économiques (même s’il est possible que les Etats-Unis et l’Union européenne usent du chantage économique sur cette question).  On sait que des pays d’Amérique latine, ou d’ex URSS sont hésitants. Parce que le discours selon lequel seul l’Occident est légitime à définir  l’exception à l’intangibilité des frontières reste largement accepté.

Cette question implique aussi les opinions publiques. Si j’étais à la place des autorités de la République autoproclamée d’Abkhazie, j’essaierais de faire du lobbying auprès des députés ou des maires issus de partis politiques qui nourrissent une vision des réalités internationales différente de celle que soutiennent les grands partis. Par exemple, en France, des mouvements comme le Front de gauche, Debout la République, ou encore les partis régionalistes, les Verts qui contrôlent des municipalités seraient sans doute intéressés à connaître la situation abkhaze et la faire connaître.

Mais évidemment en dehors de la question de la reconnaissance, on voit bien que ce qui compte aussi et surtout, c’est celle des relations avec la Géorgie. Peut-il y a avoir un rétablissement des relations économiques, une réconciliation entre les peuples, un retour des civils géorgiens expulsés ? On peut espérer que la récente défaite électorale de M. Saakachvili ouvre des perspectives sur ces dossiers.

- La réaction d’une de  certains de vos  interviewers n’avez pas vous étonné? J’ai remarqué la méfiance de certains à vous donner son accord pour l’interview. Pourquoi vos interviews ont décidé de prendre les pseudonymes ?

 

- Ils n’ont pas décidé. C’est moi qui le leur ai proposé, afin qu’ils puissent parler librement et en détail de leur vie (les détails sont souvent plus vrais que les généralités, surtout quand on choisit d’interroger des gens ordinaires). Il me semble assez normal que des gens qui vivent dans un pays en guerre larvée avec leur voisin, et qui savent que les médias occidentaux ne défendent pas leur point de vue se méfient.

- Les événements en Abkhazie sont éclairés sur un certain jour dans les médias européens et américains. Le citoyen d’Abkhazie a senti l’effet de la «guerre d'information ». Comment est-ce que le citoyen ordinaire qui n’a pas la possibilté de venir en Abkhazie pour voir la réalité avec ses propres yeux, peut-il éviter le destin d’une victime de la guerre d'information ?

-    C’est très compliqué. Il y a dix ans, je vous aurais répondu qu’Internet peut devenir un moyen de mieux comprendre le monde indépendamment des grands canaux d’information. Mais ce n’est pas vrai. Même sur Internet la majorité des gens vont lire les  sites des grands journaux, qui contiennent beaucoup de contrevérités, et les sites « alternatifs » racontent souvent un peu n’importe quoi aussi… Il est clair que les 60 millions de Français ou les 80 millions d’Allemands n’auront pas chacun un contact personnel avec les 200 000 Abkhazes pour se faire une opinion sur ce pays. Comme je le disais plus haut, il y a des moyens « locaux » de contrer la désinformation dominante, par exemple en  établissant des coopératons au niveau des municipalités, des associations etc, mais il n’est pas sûr que cela pèse très lourd. Paradoxalement dans un monde surinformé, c’est toujours le mensonge qui a le plus de chances de prédominer quand il sert les intérêts des plus puissants.

- J’ai remarqué que dans les interviews donnés par les abkhazes dans votre livre la réalité de la vie en Abkhazie est un peu enjolivée. Comment vous pouvez l’expliquer ? Par le désir de montrer son propre pays d’un meilleur coté ?  Si par exemple je ne savais rien de France et je voulu prendre l’ interview avec vous pour ce que vous me parler de la France, quelle image vous allez me donner ? Plutot réaliste ou plutot romantique ? Pourquoi ?


- Sans doute une réponse réaliste. Mais réaliste ne veut pas dire seulement négatif, il faut tenir compte des circonstances politiques. Il y a quinze ans, j’aurais parlé plutôt négativement de la France (et ça reste la tonalité dominante de nos médias) : parce que nous étions engagés dans l’approfondissement de l’Union européenne, parce que des travaux universitaires sortaient sur l’histoire de l’antisémitisme en France, sur les crimes du colonialisme etc. Aujourd’hui que la construction européenne a surtout aidé à l’application de politiques néolibérales et que l’ouverture internationale de la France rime surtout avec sa soumission à l’idéologie atlantiste, je suis plus enclin a valoriser ce que la France a de positif. Il est normal que les citoyens d’un pays en guerre, non reconnu, et isolé, ait tendance à embellir la réalité. L’observateur étranger doit à la fois respecter cela,  et en même temps garder une dose de scepticisme à ce sujet.

- Et finalement, la question importante pour le lecteur abkhaze : Qu’est-ce que c’est , le patriotisme pour vous ?


- En français, en anglais, et dans beaucoup de langues européennes, le mot patriotisme garde la racine latine « pater ». C’est la fidélité à la terre des pères, à ce qu’ils y ont fait. C’est un sentiment qui existe depuis le Néolithique, bien avant que le mot n’existe. Et c’est une dimension importante de la vie, quelque chose qui peut lui donner un sens plus profond et lui servir de repère dans un monde où la technologie modifie très profondément les êtres humains et les rapports qu’ils nouent entre eux. Mais en même temps c’est quelque chose qui peut être compliqué à vivre. Par exemple quand on a une double origine comme moi (qui suis à la fois français et espagnol). Je crois qu’il est très important de la combiner avec la liberté. La liberté implique qu’on soit ouvert à l’avenir, et donc à tout ce que l’avenir peut nous offrir : le changement de pays, la rencontre d’autres cultures. L’attachement à la liberté est ce qui empêche le patriotisme de devenir un culte morbide du passé et des morts. Cela oblige le patriotisme à se réactualiser, à se redéfinir en permanence dans le dialogue avec les autres, et avec les circonstances nouvelles que nous donne le monde à chaque instant.

Pour la version russ cliquer ici

pravda.jpg

Lire la suite

Chavez passe le flambeau, Robert Fisk et la Syrie, Israël et la Géorgie, la désindustrialisation

10 Décembre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Revue de presse

- Hugo Chavez, 58 ans, qui voit son cancer récidiver, appelle les Vénézuéliens à élire à sa succession le très peu charismatique Nicolas Maduro, si les médecins cubains ne parviennent pas à le guérir. Tragique destin des pères de révolutions. Comment désigner un père par procuration ? L'homme le plus proche de soi, le plus en accord avec ses idées, n'est pas nécessairement le plus charismatique.

 

Journaux-3-2.jpg-  Robert Fisk (qui fait autorité en matière de journalisme) l'affirme : il était à Hama en 1982 et il n'y a pas eu de trace d'utisation d'armes chimiques par Hafez el Assad à l'époque. Cela n'implique rien pour le temps présent mais c'est toujours utile à savoir. Le 12 décembre 2013, Le Bundestag allemand se prononcera au sujet de la proposition du gouvernement allemand d’envoyer, sur demande de la Turquie des missiles Patriot. Une "Ligue des libres-penseurs allemands" fait signer une pétition. Au fait, croyez-vous quà Doha le ministre des affaires étrangères russe a menacé le Qatar de disparaître ?

 

- Le ministre des affaires étrangères israélien annule sa visite en Géorgie après qu'elle ait reconnu l'Etat palestinien. Je suis quand même surpris de constater le triomphalisme du Hamas à Gaza. Qu'ont-ils gagné au juste ? En tout cas M. Netanyahu reste le favori de l'opinion publique israélienne (plus de 80 % de l'opinion publique de ce pays pensent qu'il est le futur premier ministre)...  

 

- Dans un département industriel de province hier je me renseignais sur la santé économique du pays. Des usines de 200-300 salariés ferment parce que les patrons exigent plus de 10 % de rentabilité. D'autres se vident par paquets de neuf salariés. Mais je ne crois pas que les gens reviendront sur le dogme du libre-échange. Ses partisans peuvent encore pour quelques décennies être canalisé vers des impasses comme le Front national et des impasses d'extrême gauche. L'idée du Front de gauche de faire du protectionnisme avec les normes sociales et écologiques est intéressante, mais je m'interroge sur les chances de Mélenchon de faire une majorité FdG/les verts/gauche du PS comme il prétend le faire. Il me semble que le système politique eut rester sclérosé sur un dialogue stérile UMP-PS avec 50 % d'abstentionnistes pour quelques lustres. Et je ne comprends pas bien le projet de nationalisation de l'acierie que défend la gauche de la gauche en ce moment. Y a-t-il une perspective pour un "acier écologique" en France ? Et comment ?

 

p1000207.jpg- Vous souvenez-vous que j'ai été contributeur du Cahier de L'Herne sur Noam Chomky ? Il faudra que je diffuse une ou deux vidéos récentes de ce linguiste sur ce blog à l'occasion, car il parle encore beaucoup !

Lire la suite
<< < 1 2 3 4 5 > >>