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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #philosophie et philosophes tag

Post spiritum omne natio tristis est

6 Août 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Peuples d'Europe et UE, #Philosophie et philosophes

J'entendais tantôt à la radio un publiciste rappeler que Paul Nizan en 1938 avait écrit une apologie de Descartes puis exhorté en 1939 le PCF à définir une ligne autonome à l'égard de l'URSS. Il était sans doute un penseur potentiel du "socialisme à la française" fauché par la seconde guerre mondiale, comme Péguy l'avait été par la première.

 

Il faut reconnaître que la seconde guerre mondiale a enterré l'idée française parce qu'elle en a liquidé le potentiel utopique (dont peut-être le programme du Conseil national de la Résistance fut l'ultime avatar). Les deux générations qui ont suivi cette liquidation n'ont fait que gérer l'héritage sur un mode bureaucratique tandis que le pays s'alignait sur les Etats-Unis et se déconsidérait dans sa lenteur à décoloniser (tandis que les intellectuels, eux, se perdaient en folies idéologiques), même pendant la parenthèse anachronique de la présidence de De Gaulle.

 

Voilà pour le XXe siècle. Il est bien plus évident encore au XXIe que l'idée française est morte. Cependant au XXIe siècle la mort de la France ne peut plus nous arracher de regrets, car, à la vérité, toutes les nations sont aujourd'hui mortes, et ne sont plus que les ombres de dieux morts projetées sur les parois de la caverne peut-on dire ici pour plagier Nietzsche.

 

0017.jpgEt il y a à cela une raison simple que Sloterdijk a très bien entrevue dans certaines de ses pages sur l'humanisme : c'est que l'existence des nations européennes était solidaire d'une quête morale et spirituelle, oui, spirituelle, immatérielle. Or tout le spirituel a complètement déserté notre monde (et qu'on ne me parle pas des transes du renouveau religieux un peu partout qui ne sont que des thérapies de souffrances pathologiques bien éloignées de la finesse de ce qu'on entendait autrefois par le spirituel !).Lorsque je voyage dans mes souvenirs je trouve un écho de ce que pouvaient être les projets nationaux au XIXe siècle (tous les projets nationaux) dans les vagues impressions que j'ai gardées en 2003 d'un jardin public (déjà anachronique) à Riga que je sillonnais aux côtés d'une jeune Lettonne réellement éprise de son pays. Ce jardin peuplé de statues de "grand hommes" non loin du minuscule palais de la présidence, était rempli d'un calme un peu mélancolique qui pouvait faire penser à la Suisse. Les projets nationaux étaient solidaires de ce calme là, de cette poésie des parcs dans laquelle pouvait germer une aspiration morale personnelle à laquelle la nation pouvait apporter une réponse.

 

Les nations aujourd'hui ne sont plus que des coquilles vides, des conservatoires de vieilles habitudes, dont le seul projet peut être d'incarner ce que les autres ne sont pas, sans pour autant porter le moindre souffle ni le moindre avenir. Qu'est-ce que la nation russe par exemple, sinon un projet collectif purement négatif : celui de ne pas être asservi par encore plus vulgaire et plus abject que soi - ne pas être asservi par Mac Donald's, les pétroliers texans et l'hypocrisie de l'administration Obama ? La nation américaine devenant à son tour et symétriquement une simple volonté de ne pas tomber sous le joug d'autres projets identifiés comme tyranniques (l'étatisme russe ou chinois, que sais-je encore). Ce qui est obscène dans le projet national russe, comme dans tout projet national, ce n'est pas quil soit incarné par un rustaud qui veut "buter les terroristes au fond des chiottes". Car des rustaud, la nation russe en a porté bien souvent au pouvoir, à commencer par Ivan le Terrible. C'est que ce rustaud ait pour seule perspective ontologique de consolider Gasprom face à Exxon, ou l'agroalimentaire russe face à Monsanto, sans que son peuple puisse être poussé vers l'avenir par la moindre rêverie spirituelle.

 

L'acte de décès de la France en tant que nation s'ajoute ainsi à celui des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine, de l'Inde, etc dan un très long registre d'Etat Civil. La spiritualité jadis, dans ses formes plus ou moins raffinées, n'était peut-être qu'une illusion, mais qui tenait debout l'humanité. En son absence l'humain se parodie lui-même dans tout ce qu'il essaie d'être et ses nations ne sont que de décors de carton pâte (mais de décors hélas armés, et capables de s'entredétruire de la pire des manières).

 

Je ne suis pas nostalgique quand j'écris cela. Je ne vois pas du tout comment les choses auraient pu évoluer différemment. Je prends acte de la réalité voilà tout.

 

Et ceux qui ont cru que les empires (fussent-ils des empires de la Paix et des bons sentiments) prendraient le relais des nations mortes se sont trompés. Les Jacques Delors, les François Mitterrand, se sont égarés. Ils n'ont créé que des machines sans âmes comme l'eurocratie actuelle, car pas plus dans les empires que dans les cadavres des pays l'esprit humain ne survivait.

 

arcus.JPGEn parlant de Mitterrand, je dois dire que j'ai à nouveau pensé à lui quand je suis allé traîner cette année encore dans le Charentes. L'an dernier c'était du côté d'Angoulême et de Jarnac, cette année à Saintes. Le douceur et le calme des villes moyennes de cette région ne cessent de me surprendre. Dans ma province natale, le temps à maints égards s'est arrêté, dans bien des domaines (la musique par exemple), mais les gens cherchent à combler leur anachronisme en affichant des passions actives, notamment pour le sport (et les médailles d'or de M. Estanguet leur en ont encore donné le prétexte). En Charente, au contraire l'immobilité semble se vivre dans un plaisir tranquille, comme la lente dérive des gabares touristiques sur le fleuve... On comprend que cette région ait encouragé Mitterrand à rester toute sa vie un homme des années 30, un étudiant ligueur nostalgique du temps d'avant. Sa spiritualité à lui ne lui a donné aucune inspiration en politique (il fut un des politiciens les moins inventifs de notre histoire) et a fini par dériver vers un pharaonisme de pacotille à l'image de la crise morale que son pays traversait. La Charente, je pense, l'aidait au moins à vivre sans douleur l'ensevelissement collectif dans le matérialisme publicitaire. Les Charentais, comme les Lettons, ont encore des jardins publics très silencieux qui au moins enveloppent de calme les égarements des dernières décennies.

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Fin de Zweig, pour tourner le page

17 Juillet 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Bon, je dis un dernier mot du "Monde d'hier" de Zweig. Je comprends que beaucoup aient été agacés par mes nombreux billets sur cet auteur qui, outre qu'il est à la mode, a le défaut d'avoir été politiquement très (trop) prudent, jusqu'à se complaire souvent dans la fuite esthétique (il se vante de n'avoir jamais voté dans son pays par exemple). Même si j'avais besoin de son point de vue pour mieux comprendre Romain Rolland, ou même si sa foi pacifiste me semble avoir eu beaucoup de valeur (en 14-18) et recélé bien du mérite, je conçois tout à fait qu'on vienne me dire qu'il ne faut pas s'y attarder trop.

 

Je maintiens quand même qu'il fallait en parler. Parce que les gens qui ne sont pas forcément nos sources prioritaires d'inspiration ont toujours quelque chose à nous apporter, surtout s'ils sont des esprits profonds et honnêtes (ce qu'était Zweig, malgré beaucoup de naïvetés, sur le monde anglosaxon, sur l'intelligentsia etc). Aussi parce qu'il ne faut pas laisser les grands classiques au petits apparatchiks du système médiatique actuels qui les utilisent comme autant de marteaux pour nous empêcher de penser (Zweig au service de la doxa européiste libérale creuse de notre époque).

 

Son livre mérite le respect, ne serait-ce que parce qu'il est écrit au dessus du chaos et au seuil de la mort, comme le  De Officiis de Cicéron, un autre ouvrage que je respecte beaucoup (sauf que Cicéron lui, a pris beaucoup plus de risques que Zweig pour sauver le monde ancien et ses idéaux, au point même de se couvrir les mains de sang, ce que n'a jamais fait Zweig). Dans ces circonstances extrêmes l'humanité se surpasse souvent en sincérité et en justesse et c'est le cas chez l'auteur autrichien.

 

Le livre fonctionne comme un antidote à beaucoup de facilités. Par exemple la facilité des jugements à l'emporte pièce sur Freud, un des derniers apports de son témoignage, dans l'ultime chapitre, qui fonctionne un peu comme "Les derniers jours d'Emmanuel Kant" de Quincey. Je me suis souvent opposé au freudisme et à la psychanalyse sur ce blog, mais les phrases de Zweig sur Freud à Londres, même si elles comportent probablement une part de candeur, sont un antidote phase aux montages grossiers dont Onfray s'est fait le spécialiste (contre Freud, contre Sartre, contre tant d'autres) et dont malheureusement notre époque de plus en plus dépourvue de profondeur humaine est friande.

 

Il y aura quelque chose à garder de Zweig par delà l'écoeurement que le pharisianisme libéral nourrit à juste titre chez beaucoup d'entre nous : l'aversion pour le fanatisme, pour le culte de la violence et de la mauvaise foi dont les fascismes furent l'illustration. La pensée dominante a fait de la hantise antitotalitaire un slogan vide de sens alors qu'elle même asservissait (et continue d'asservir) massivement les individus et les peuples. Mais le témoignage de Zweig redonne une concrétude à ces fantômes que le libéralisme officiel prétend combattre.

 

Comme je l'ai mentionné dans un récent billet la question est de savoir maintenant comment on peut conserver quelque chose des valeurs positives de l'ancien système aristocratico-démocratique (notamment en terme de respect des libertés individuelles, de la culture etc, à travers les corps intermédiaires qui les défendent), sans verser ni dans ses dévoiements actuels ni dans toutes les formes de césarisme auxquelles sa contestation expose les esprits superficiels. Ce n'est pas un maigre enjeu...

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Démagogie philosophique

19 Juin 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

platon.jpgDes nouvelles de ma nièce hier. Au bac de philo elle a pris un sujet sur le désir. Comme je lui avais passé l'abécédaire de Deleuze elle en a fait un certain usage dans sa  dissertation, elle était contente. "De mon temps", en 88, le désir n'était pas un sujet important en philo. N'ayant guère été traité que par Platon, Spinoza, Freud et Deleuze, qui seuls lui conférèrent un statut métaphysique (y compris Freud) on le traitait aux marges.

 

Mais hier j'entendais une prof de philo de lycée sur Radio france international : "La philo c'est très important parce que les jeunes découvrent que Socrate s'était déjà posé les questions que se posent les jeunes sur le désir, pourquoi le travail etc"... La phrase déjà m'écoeurait, car elle alignait  la philo sur les attentes des "djeuns" : tu te demandes pourquoi tu bandes, la philo va t'en parler ! Bah oui, la philo, c'est un truc à ton service, comme les institutions, c'est un truc qui se met au niveau de tes petites questions quotidiennes. Démagogie ! Je regrette déjà le temps où on entrait en classe de philo un peu inquiets, un peu prêts à faire de la résistance, mais quand même réceptifs parce que ça aillait causer de trucs pas habituels dans nos conversations. Et on commençait d'entrée de jeu avec la question reine :"Pourquoi quelque chose plutôt que rien ?" voire "Pourquoi l'être ?" et "Qu'est-ce que l'être ?" qui quand même avait plus de souffle que "qu'est-ce que mon désir veut dire ?".

 

Mais le pire du pire fut la chute de cette brave professorette de philo : "Se dire que Socrate s'est déjà posé les mêmes questions que nous, c'est une source d'émotions rares". La dictature de l'émotion, comme devant le journal TV de 20 H ou la page d'accueil de Yahoo. Mais oui ! La philo c'est fait pour vos petites émotions ! La jolie petite émotion de découvrir que vos interrogations sur votre vie quotidiennement "'achement importantes" parce que Socrate avait les mêmes ! Mais oui ! La philo ce n'est pas fait pour structurer votre esprit ni vous ouvrir à une autre dimension de la pensée que celle du quotidien. Nan nan nan ! C'est fait pour ajouter un petit vernis "sympa" à votre quotidien qui, déjà, est un truc sublime, plein d'émotions "géniales" et qu'il ne faut surtout pas dépasser, juste enjoliver.  Vous allez me dire que Raphaël Enthoven nous avait déjà habitués à cela sur Arte (tiens il invite la castastrophique Marzano dimanche), mais là ça ne touche pas que ses quelques milliers de spectateurs. Des centaines de milliers de lycéens sont otages de cette imposture institutionnelle !

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Héraclitéisme radical

21 Mai 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Avant hier, un journaliste de France Culture s'émerveillait du fait que sur Internet, à l'occasion du décès de Donna Summer, on pouvait désormais consulter de longs articles de Wikipedia et surtout des tas du clips d'élle sur Youtube dans autant de versions qu'on veut, et y ajouter hommages et commentaires. Il se demandait toutefois si tout cela ne nourrissait pas une nostalgie artificielle. On peut aller plus loin et se demander si cela ne revient pas à fragmenter le temps.

 

Pour ma part à mesure que je vieillis, je deviens non seulement un nominaliste (refusant de subsumer le singulier sous l'universel), mais encore un héraclitéen radical : non content de penser qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, j'en viens en considérer qu'il n'y a aucune persistance ni du fleuve ni même de celui qui se baigne. La seule Donna Summer qu'il y eût fut pour moi celle de 1983 et aucune autre, et même plus précisément le visage qu'elle eut dans un clip au début du clip, et nul autre, de même que je n'eus de village natal que celui que parcourait mon grand père durant sa retraite au moment où il le parcourait et nul autre, etc.

 

Mais il est vraisemblable que ce soit Internet qui me rende ainsi. Pendant 15 ans j'ai vécu sans avoir aucun accès aux images de mon passé, à part quelques photos dans un album, et les écrits de mon journal. J'ai sauté au plafond vers 2005 quand un site commença à proposer des clips vidéos que je n'avais pas revus depuis 1986. Ce site fut bientôt balayé quand apparut You Tube et surtout, quand les majors du disque cessèrent d'y censurer les clips que les gens y postaient.

 

Aujourd'hui avec toutes ces images (que je n'ose pas appeler virtuelles, instruit de ce que le mot a trop de sens différents pour être utile) du Net chacun peut se reconstituer le monde qu'il veut à l'année qu'il veut, tel l'aïeul de Louis de Funès sorti d'une glaciation dans la comédie populaire Hibernatus... Il y a quand même de très gros dangers à cela. Des dangers dont seuls nous sauvent les mots qui, à la différence des images, sont toujours mobiles et n'enferment pas.

 

Les mots justement je devrais les employer plus pour parler des cultures populaires peut-être. Tenez, pour évoquer à nouveau Donna Summer par exemple. Songez qu'elle fut finalement la seule victime célèbre du 11 septembre 2001 (si j'excepte Saddam Hussein qui fut aussi le condamné collatéral de la chute des Tours jumelles, mais d'une autre manière). Une victime avec onze ans de retard - dont, on peut s'en douter, quelques longs mois de calvaire.

 

Oussama Ben Laden l'admirateur de Whitney Houston aura eu la peau de Donna Summer. Il y a quelque amère ironie dans cette histoire. Une ironie qui me peinerait si Donna Summer n'était pas morte à mes yeux... fin 1983. 

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Antisthène et Clemenceau

12 Avril 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

"Ne vous étonnez pas des pierres qui tombent dans votre jardin. Je ne sais plus quel ancien se voyant, un jour, applaudir à outrance, s'écria : "Ai-je donc dit quelque sottise ?" C'est dans cet esprit que je voudrais vous voir accueillir tous vos ennuis. Quand on fait mieux que les autres, il faut savoir d'avance que cela ne vous sera pas aisément pardonné".

 

Lettre de Georges Clemenceau au vigneron Antoine Cristal, 11 juillet 1924. (L'ancien était le cynique Antisthène) 

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