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Paris ad nauseam
L'ambiance parisienne est réellement infecte. Elle l'était il y a 20 ans, elle le demeure. Toute cette insoutenable légèreté : parce que M. X connaît M. Y ou déjeune avec Mme Z, M. X n'est plus lui-même, M. X est pris dans le jeu, ne vous écoute pas, n'écoute personne, n'écoute qu'à moitié. Le jeu, il n'y a plus que cela qui compte : le jeu entre quelques personnes, ce que Machin pense de Bidule, comment on se positionne. Comme la cour de Louis XIV disséquée par Norbert Elias, la notion de champ de Bourdieu. A Paris il n'y a que cela, et c'est très conscient. Même chez les militants. J'ai décrit ce phénomène à propos du salon de l'Ecrivain engagé. Je le découvre partout. Et cela m'exaspère, cette satisfaction de soi-même, ce sentiment d'être arrivé à quelque chose parce qu'on est dans un jeu avec X et Y, la surdité à l'égard du réel qui en découle. On croit pouvoir juger de tout, on croit avoir assez lu même si l'on a pas le temps de lire. Ce n'est pas telle ou telle personne en particulier que je vise ici, c'est un trait constant que je trouve chez tout le monde à Paris. C'est Paris, en tant que telle, pourrait-on dire, cette chienne de ville. Les gens y sont plus sympa qu'il y a 20 ans, mais en profondeur c'est la même ronde des vanités qui les entraîne.
Pourtant ceux qui travaillent ou militent dans cette ville, en raison de la proximité particulière qu'ils ont à l'égard des médias et de tous les pouvoirs nationaux concentrés en quelques quartiers, devraient être pétri d'un esprit de sérieux, et même de modestie, presque monacale. Tous devraient trembler à l'idée qu'ils sont peut-être en position d'influer par leurs faits et gestes sur le destin de 60 millions de leurs compatriotes, et peut-être au delà, sur l'Europe et le monde. Mais non, c'est tout le contraire. C'est une indifférence complète à l'égard de la lourdeur des enjeux qui l'emporte, une absence totale de sens de l'analyse, et même, bien plus, d'esprit philosophique, c'est à dire de goût pour l'interrogation, le taumazein. Tout va de soi pour qui milite à Paris. Les certitudes sont de mises. Et même lorsque chacun s'inscrit en faut contre la superficialité des médias, ce n'est que pour y substituer la vacuité de ses dogmes propres. Des dogmes qu'on n'interroge guère, puisque seul le jeu compte... seul compte le fait de savoir qui j'ai vu avant-hier, qui je verrai demain, où j'irai parlé, où l'on m'a entendu...
On voudrait pouvoir ignorer Paris, et pourtant on ne le peut pas : ce n'est pas en Franche-Comté, ce n'est pas en Charente que l'on peut monter des partis politiques qui pèseront sur la politique étrangère de la France. Il faut donc faire avec Paris tout en sachant que tout ce que l'on y dit, tout ce que l'on y fait, tombera dans le biais de la frivolité intrinsèque de cette ville. Misère de la concentration des pouvoirs, misère de la délégation, du système représentatif. Dans ces moments on se sent anarchiste. On eût voulu que l'Europe ne fût qu'une fédération de petites communautés qui ne délégât jamais le pouvoir à des représentants, des partis politiques constitués dans les grandes villes. Le ver est dans le fruit dès que l'action politique est déléguée.
Robert Fisk à propos de l'Iran
Bloc note (suite)
Mélenchon a dit ce qu'il fallait dire, sur Canal+ à propos de la façon dont la journaliste Chabaud avait organisé le débat d'hier. Une imposture semblable à celles qui pourrirent la campagne du référendum sur le TCE naguère. Quoi qu'il en soit la Grande Bretagne devrait donner bientôt du fil à retordre aux européistes fanatiques, avec la victoire annoncée du Parti pour l'indépendance du Royaume Uni, la déroute prochaine de Gordon Brown, le retrait du Parti conservateur du Parti populaire européen, leur refus de soutenir le Traité de Lisbonne, et leur soutien prévisible aux Irlandais forcés de revoter par Bruxelles. Cela pourrait gonfler les voiles des anti-UE en France (notamment celles du MPEP à gauche). Croisons les doigts.
Passons à des sujets plus gais. Un ami hier m'a parlé d'un conseiller municipal de sa ville qui incarne le pire de l'arrivisme qui caractérise certains jeunes loups du Parti communiste en ce moment (une caractéristique heureusement minoritaire dans ce parti qui compte beaucoup de gens honnêtes et désintéressés, mais l'existence de cette minorité ne doit pas être négligée), des cours de Robert Bonnaud, l'ex porteur devalises du FLN, qu'il suivait jadis à Jussieu, et d'un ancien militant de la cause sandiniste qui vit en France et que je me suis promis d'interviewer (s'il l'accepte), avec une caméra vidéo un jour.
J'ai été contacté par un militant du POI qui dit être d'accord avec mes analyses sur l'Union européenne et qui se plaint de la marginalisation médiatique de son parti qui compterait autant de militants que le NPA. Un ami me dit que le POI est marqué par le lambertisme, et que tout le monde à gauche se méfie d'eux à cause de cela. Je n'ai aucune opinion sur ce mouvement dont je connais seulement les déclarations publiques (des déclarations souvent justes du reste, sur l'Europe notamment).
Un ami m'a envoyé un étrange sondage (la source est UAM93, je ne sais pas ce que c'est) :
LAS - Liste Dieudonné M'bala M'bala - (Liste Antisioniste)
242 46.6%
PCF - Liste Patrick LE HYARIC (Front de gauche)
99 19.1%
NPA - Liste Omar SLAOUTI (Pas question de payer leur crise)
43 8.3%
UMP - Liste Michel BARNIER - (Quand l'Europe veut, l'Europe peut)
28 5.4%
VERTS - Liste Daniel COHN-BENDIT (Europe écologie)
23 4.4%
Abstention
20 3.9%
PS - Liste Harlem DESIR (Changer l'Europe maintenant)
19 3.7%
Vote BLANC
19 3.7%
MODEM - Liste Marielle DE SARNEZ - (Nous l'Europe)
16 3.1%
FN - Liste Jean-Michel DUBOIS - (Front National)
5 1%
Autres listes ...
4 0.8%
DLR - Liste Jean-Pierre ENJALBERT - (Debout La République)
1 0.2%
500 personnes c'est un peu limite pour un sondage "représentatif" et les musulmans "pratiquants" je ne sais pas ce que c'est (je crois me souvenir en tout cas que les sociologues disent que la pratique religieuse est très minoritaire chez les gens de culture musulmane en France).
Tiananmen, Le Mirail, Saragosse
A relever dans notre bloc note l'article de l'historien communiste italien Domenico Losurdo sur Tiananmen qui critique la version officielle occidentale des événements il y a 20 ans. Je précise que je n'ai pas d'opinion précise sur Losurdo dont j'ai appris récemment qu'il avait aussi écrit un livre qui "revisite" l'histoire du stalinisme. Son article a en tout cas aussi le mérite de rappeler le bombardement du Panama par les Etats-Unis en 1989 et les victimes civiles qu'il provoqua.
Dans l'actualité on relève aussi le déblocage manu militari de l'université du Mirail à Toulouse qui s'était obstinée dans la rebellion. En Espagne, à l'université de Saragosse, 87,77 % des étudiants refusent que leur université intègre l'espace européen de l'enseignement supérieur (processus de Bologne). Saragosse rejoint ainsi Barcelone, Gérone, Lérida et la Complutense de Madrid où ce genre de consultation a aussi été organisée.
A propos de la Corée du Nord
"Les diplomates haut placés de Russie, des Etats-Unis, de Chine, de Corée du Nord, de Corée du Sud et du Japon avaient tenté depuis août 2003 de régler le problème nucléaire de la péninsule coréenne. Il est à remarquer que Pyongyang ne possédait pas encore d'arme nucléaire au début de ce dialogue. Elle s'en est dotée trois ans plus tard, lorsque les négociations à six (Russie, Corée du Nord, Corée du Sud, Etats-Unis, Chine et Japon) avaient été suspendues et personne ne voulait négocier avec Pyongyang, en premier lieu, les Américains.
Cette fois-ci, les négociations à six se sont retrouvées dans une impasse après que le Japon eut refusé de remplir ses engagements de livrer du combustible à la Corée du Nord, et ce, à cause des problèmes bilatéraux n'ayant rien à voir avec le problème nucléaire. Les Etats-Unis, pour leur part, n'arrivent pas à s'entendre avec Pyongyang sur la façon de vérifier 18000 pages de documentation sur ses programmes nucléaires remises à Washington. Par conséquent, la Corée du Nord procéda en avril au lancement d'une fusée de trois étages pour mettre en orbite un satellite de télécommunications.
Le Conseil de sécurité de l'ONU condamna ce lancement, ce qui suscita l'irritation de Pyongyang et servit de prétexte à la reprise de leur programme nucléaire.
Cela peut durer à l'infini, tant que le problème principal ne sera pas réglé: la situation "ni guerre, ni paix" entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Le fait est que les deux parties n'ont signé qu'un accord d'armistice à la fin de la guerre de Corée de 1950-1953. Bien que la Corée du Nord insiste depuis longtemps sur son remplacement par un traité de paix et la normalisation des relations avec les Etats-Unis, Washington refuse jusqu'à présent même de discuter sérieusement d'une telle perspective.
Bref, tout se déroule selon le scénario suivant: pour contraindre les Etats-Unis à négocier avec la Corée du Nord, celle-ci commet des actes que la communauté mondiale est tenue de prévenir. Pourquoi cette tâche est-elle si difficile? Le fait est que chaque joueur politique essaie de sauver la face dans cette situation.
La Corée du Nord s'efforce de montrer qu'elle ne permettra à personne de la mettre à genoux. Quant à la nouvelle administration américaine, elle voudrait, peut-être, engager un dialogue avec la Corée du Nord, mais, premièrement, l'équipe diplomatique des Etats-Unis ne fait que se former et, deuxièmement, il n'est pas bon d'établir des contacts dans le contexte de la reprise par Pyongyang de son programme nucléaire. Pour nouer ces contacts, il faut trouver un prétexte pour sauver la face. "
Tskhinvali
Hegel a écrit quelque part je crois que la lecture quotidienne du journal est la prière du matin de l'homme moderne, c'est-à-dire sa façon de communier à une présence universelle, qui n'est plus la transcendance d'un Dieu, mais un absolu devenu immanent : l'Histoire humaine. Vous connaissez mon aversion pour l'hegelianisme, et aussi pour toute projection religieuse sur la politique (projection omniprésente chez les esprits idéalistes, qui explique leur amertume excessive ensuite à l'égard des régimes qui ne correspondent pas à leurs rêves initiaux, et même à l'égard de tout gouvernement en général). Mais cette citation de Hegel m'est venue à l'esprit quand je songeais au côté très abstrait des nouvelles qu'on nous livre, et qui est au fond bien plus abstrait encore que le Pater Noster d'autrefois (lequel avait le mérite de la concision - s'il n'y en a qu'une à retenir retenait celle-là dit en substance le Christ dans les Evangiles).
Ce côté abstrait m'avait touché au coeur quand mon correspond serbe il y a 10 ans voyait tous les soirs sa ville brûler, tandis que nos médias placides parlaient des "bavures de l'OTAN". Mais songez encore à une guerre plus proche de nous : celle d'Ossétie du Sud l'été dernier. Guerre aussi brève que sauvage, à laquelle fort heureusement les chars russes ont mis un terme (les leaders russes n'ont pas toujours de grandes vertus, mais en l'occurrence ils en eurent pour barrer la route à ce fou de Saakhachvili).
Je vous ai parlé dans 10 ans sur la planète résistante de Marina K, avec qui j'étais en Transnistrie en 2007. Elle m'écrivait hier que l'organe qu'a créé son mari, le Centre for Monitoring Democratic Processes (CMDP), est invité par l'Ombudsman d'Ossétie du Sud pour observer le respect des droits des minorités et des femmes. Chaque mot de cette phrase mérite un commentaire. L'existence du CMDP, auquel participent de fervents partisans de V. Poutine, reflète une particularité russe : un mélange d'adhésion tout à fait sincère à la démocratie formelle (leur site se réfère à Huntington sur ce point) et de méfiance à l'égard de ce que les Occidentaux font de cette démocratie à leurs frontières, de sortes qu'ils entendent mettre en oeuvre leurs propres techniques de garantie de la liberté d'expression et du droit de vote ("I did it my way" en quelque sorte). L'Ombudsman est une invention suédoise, que nous avons adoptée en France sous le nom de "Médiateur de la République", les Espagnols en ont fait le "Defensor del Pueblo", et les Russes (dont l'Etat a de vieilles origines viking comme la Normandie) ont importé cette institution sous son nom d'origine chez eux dans les années 1990. En Transnistrie, l'Ombudsman était un aimable officier de police dont j'ai un peu parlé dans mon dernier livre. Peut-être celui de Tskhinvali a-t-il le même profil, allez savoir.
Le mail de Marina K me rappelait une chose toute bête : l'Ossétie du Sud existe encore. Elle n'est pas seulement un rêve qui est entré dans nos radios et nos écrans de télé à l'été dernier pour en sortir ensuite. Et elle est une réalité particulièrement chère au coeur des Russes : une réalité par laquelle ils ont eu le sentiment d'élever leur conscience morale en mettant fin à un génocide. L'Ossétie du Sud est un peu pour eux (je suppose, j'essaie d'interpréter leur imaginaire) comme un enfant qu'ils auraient sauvé d'une noyade, quelque chose dans ce goût là.
Donc aujourd'hui Marina K est à Tskhinvali. Et en effet, quand on lit Ria Novosti, on découvre que dans ce tout petit pays de 100 000 habitants (5 fois moins encore que la Transnistrie) se tiennent aujourd'hui des élections législatives.70 observateurs étrangers, de Russie, du Kazakhstan, du Kirghizstan, d'Ukraine, de la République tchèque, de Pologne et d'Allemagne sont attendus là-bas, précise la dépêche. Quatre partis politiques - Parti de l'Unité, Parti communiste, Parti du peuple et Fydybasta (Parti de la Patrie) sont en lice pour briguer 34 sièges de députés (NB : le conseil général de la Creuse en France compte 27 sièges pour une population comparable). La présence d'observateurs étrangers à Tskhinvali est un enjeu de reconnaissance internationale de ce pays dans lequel seul (en dehors de la Russie) le Nicaragua "néo-sandiniste" a dépêché un ambassadeur.
Voyons si nos médias disent un mot de ces élections aujourd'hui...
L'ambassadeur du Venezuela contre Le Monde
Reçu tantôt de l'ambassade du Venezuela :
A Paris, le 22 mai 2009,
Monsieur Eric Fottorino
Directeur du Monde
Monsieur le Directeur,
C’est avec un grand respect que je souhaite vous exprimer, au nom du peuple vénézuélien et de notre gouvernement, mon sincère étonnement face à l’article selon moi tendancieux de votre correspondant, Monsieur Jean-Pierre Langellier, que j’ai eu l’opportunité de découvrir en parcourant les pages de votre quotidien daté du 19 mai dernier.
Cet article, dont j’ai constaté avec surprise qu’on le qualifie « d’analyse », reprend à son compte les plus incroyables stéréotypes et contrevérités colportés depuis dix ans par ceux qui ne comprennent pas la volonté souveraine des vénézuéliens – démontrée à maintes reprises dans les urnes – de se choisir un modèle original et alternatif de développement.
Retranché derrière sa supposée objectivité journalistique, Monsieur Langellier dresse au fil des lignes un portrait de notre pays digne d’une parodie de Tintin et les Picaros : plusieurs chiffres et discours sont utilisés hors de leur contexte et les sources sont occultées. De ce fait, Monsieur Langellier trompe sciemment vos lecteurs, en contribuant à forger une vision de l’Amérique Latine simpliste et heureusement contraire à la réalité.
On peut ainsi lire, au fil des lignes, que le Venezuela est gouverné par un « régime » « autoritaire et étatiste », « centralisé et militarisé », qui n’honore pas ses engagements internationaux, qui transforme en « traîtres » les « camarades » critiques, « exerce une vendetta contre ses opposants », les « harcèle » et réduit « chaque jour un peu plus l’espace de la démocratie », tout cela grâce à « un Parlement à sa dévotion », une compagnie pétrolière qui est un « Etat dans l’Etat » et au fait que « les médias privés sont dans le collimateur ».
Dans son « analyse », Monsieur Langellier juge tout de même utile de retranscrire l’opinion de membres du Gouvernement qu’il décrie, en expliquant que « récemment », notre Ministre des Finances déclarait « qu’au Venezuela ressurgit le rêve de l’Union Soviétique » : une phrase là aussi sortie de son contexte, mais qui sert son dessein de donner l’image d’un pays archaïque, aux antipodes de notre volonté affirmée de construire un modèle novateur et moderne de réelle redistribution de la richesse, participatif et démocratique.
Alors que si peu se sont émus, pendant les années 80 et 90, de la terrible expérimentation des politiques ultra-libérales sur notre continent et de leurs conséquences désastreuses sur le niveau de vie des latino-américains, certains commentateurs démontrent aujourd’hui un aveuglement idéologique lorsqu’ils attaquent notre politique de reconstruction de l’Etat, de services publics forts et efficaces à lutter contre les effets sociaux de la crise économique et financière actuelle.
Par ailleurs, il n’est pas juste de dénoncer une faiblesse grandissante de la démocratie au Venezuela, alors que depuis 1998, il est le pays à avoir connu le plus grand nombre de consultations électorales, que parallèlement à ces consultations se sont consolidés les mécanismes de participation citoyenne et populaire, et que notre pays à été pionnier dans la mise en place du référendum révocatoire qui permet aux électeurs de mettre librement fin au mandat de tout élu : un processus auquel le Président Hugo Chavez s’est courageusement soumis, chose que beaucoup omettent de mentionner lorsqu’ils l’accusent d’autoritarisme ou de persécution des opposants.
Je tiens à vous réaffirmer, Monsieur le Directeur, notre réelle disposition à apporter des compléments d’information à vos lecteurs qui puissent leur permettre de mieux connaître la réalité de notre pays. Nous serions honorés de pouvoir nous exprimer dans votre quotidien, si vous le souhaitiez, par exemple au sein de sa rubrique d’opinions.
En espérant que vous comprendrez nos motivations, je vous prie, Monsieur le Directeur, d’agréer l’expression de notre très haute considération.
Jesús Arnaldo Pérez
Ambassadeur
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Venezuela : la fuite en avant d'Hugo Chavez, par Jean-Pierre Langellier
Le Monde 18.05.09
Depuis deux mois, Hugo Chavez a déclenché la "troisième phase" de sa "révolution bolivarienne". Fort de son succès au référendum du 15 février, qui lui permettra de se représenter indéfiniment, le président vénézuélien a choisi d'accélérer l'Histoire. Mais le "socialisme du XXIe siècle", qu'il affirme vouloir enfanter, ressemble beaucoup à celui, autoritaire et étatiste, qui, rappelle le philosophe et opposant Antonio Pasquali, "a échoué au XXe siècle dans 46 pays". Les lois qu'il fait voter à tour de bras par un Parlement à sa dévotion et la vendetta qu'il exerce contre ses opposants, élus du suffrage universel, réduisent chaque jour un peu plus l'espace de la démocratie.
L'activisme de M. Chavez est d'abord "pétrolier", dans un pays où 94 % des devises proviennent de la vente du brut. En vertu d'une loi octroyant à l'Etat le contrôle des hydrocarbures, le gouvernement a nationalisé une quarantaine d'entreprises du secteur qui opéraient sur le lac de Maracaibo, la principale région productrice. Quelques jours plus tôt, M. Chavez avait présidé sur place une cérémonie, baptisée "bataille navale de libération", marquant "la récupération par le peuple" de quelque 400 embarcations, remorqueurs, docks et terminaux pétroliers. Les installations ont été occupées par l'armée, et les biens expropriés, transférés à la compagnie d'Etat PDVSA, qui devra absorber 8 000 nouveaux salariés.
Ces mesures sont une fuite en avant. Le prix du baril vénézuélien avoisine 40 dollars au lieu des 60 inscrits au budget. Selon l'OPEP, la production est inférieure de 30 % au chiffre officiel. Sorte d'Etat dans l'Etat, PDVSA est le bailleur de fonds du "chavisme". Son pactole finance la politique sociale du régime, des médecins cubains aux denrées de base subventionnées dans les magasins publics, de l'alphabétisation des adultes à la consommation d'essence, quasi gratuite.
L'effondrement de ses recettes l'a plongée dans le rouge. Sa dette envers ses fournisseurs dépasse 7 milliards de dollars. Certaines entreprises étrangères, impayées depuis de longs mois, ont menacé de mettre la clé sous la porte. En expropriant ses créanciers, l'Etat évite de les rembourser. Il les indemnisera, un jour, peut-être, et comme il l'entendra. Car la nouvelle loi interdit aux spoliés de recourir à un arbitrage international. Le dernier mot appartiendra aux juges vénézuéliens aux ordres du régime.
Ainsi M. Chavez poursuit-il, à un rythme désormais plus rapide, l'étatisation de l'économie. Au fil des ans, il a nationalisé l'électricité, les télécommunications, le principal aciériste, une grande banque et l'industrie du ciment. Il a contraint les compagnies étrangères à devenir actionnaires minoritaires dans l'exploration et la production du brut de l'Orénoque.
Transition vers le socialisme ou "capitalisme d'Etat" ? Les dirigeants vénézuéliens récusent ce terme, qu'ils jugent offensant. "Nous allons enterrer le capitalisme !", annonce M. Chavez. Le Venezuela serait-il le premier pays à concilier socialisme, efficacité et liberté ? "Les autres pays ont échoué, répond l'économiste Jesus Faria, parce qu'ils n'ont jamais appliqué un vrai programme socialiste."
Empruntant à un langage néomarxiste où il est question de "propriété sociale" et d'"homme nouveau", M. Chavez établit un chaînon d'équivalences où gouvernement = Etat = société = peuple. Au-delà de ce court-circuit commode, son modèle économique ne frappe ni par sa réussite ni par son originalité. Un oeil sur La Havane, l'autre sur Moscou, M. Chavez continue d'y puiser son inspiration. "L'Amérique latine sera ce que la Russie n'a pas pu être", prédisait-il en 2005. Son ministre des finances, Ali Rodriguez, déclarait récemment : "Au Venezuela resurgit le rêve de l'Union soviétique."
De plus en plus centralisé et militarisé, le régime harcèle ses opposants. "Ce sont tous des bandits", clame M. Chavez. Le maire de Maracaibo, Manuel Rosales, contraint de choisir entre la prison ou l'exil, s'est réfugié au Pérou. Celui de Caracas, Antonio Ledezma, n'a jamais vraiment pris ses fonctions : des nervis ont occupé ses bureaux ; une loi l'a dépossédé de ses pouvoirs et de son budget. Les gouverneurs des Etats ont été privés des revenus des ports et des aéroports.
Dès qu'ils émettent la moindre critique, les "camarades" deviennent des "traîtres", comme le général Raul Baduel, ex-ministre de la défense, emprisonné début avril. Les médias privés sont dans le collimateur du régime. Deux ans après avoir interdit la plus ancienne chaîne télévisée, RCTV, M. Chavez menace du même sort une autre chaîne, Globovision. Pour contrer "le terrorisme médiatique" des télévisions d'opposition, M. Chavez dispose de son interminable programme dominical, "Allô président". Il s'invite aussi en prime time sur tous les écrans, en vertu d'une réquisition d'antenne dont il use et abuse : au total, plus de 2 800 heures de présence télévisée en dix ans.
Tout cela inquiète l'Eglise, pour qui "la démocratie est en danger". En réponse, M. Chavez fustige "ces évêques impudents" qui défendent "les escrocs". Sûr de son bon droit et convaincu d'incarner seul la révolution qu'il a déclenchée, le champion du socialisme bolivarien supporte de moins en moins la contrariété.
Armée et société
Un ami m'écrit aujourd'hui :
"Le mois dernier mon fils ainé qui vient d'avoir 18 ans a participé à la journée d'appel de préparation à la défense. Instituée il y a quelques années, cette journée (à laquelle sont tenus de participer filles et garçons) a officiellement pour but de « sensibiliser les jeunes [français] au devoir de défense ». Dans le cadre d'une présentation des « enjeux et objectifs généraux dela défense nationale », voici les propos qui auraient été tenus par unofficier et que mon fils m'a rapportés : « Le Président iranien a plusieurs fois menacé d'attaquer Israël ET LA FRANCE.(...) L'Iran est une dictature qui veut acquérir l'armenucléaire. (...) Seules les puissances membres du conseil de sécurité de l'ONU ont le droit de disposer d'une telle arme. » J'ai demandé à mon fils s'il était bien sûr que cet officier avait évoqué des menaces iraniennes contre la France (pas seulement contre Israël) et il m'a répondu qu'il en était absolument certain et que cela l'avait quelque peu étonné, n'en ayant jamais entendu parler. Le détournement de cette journée d'appel à des fins propagandistes où l'Iran est explicitement désigné comme un pays ennemi de la France est particulièrement grave dans un contexte où Israël a choisi de mettresystématiquement en avant la « menace iranienne »."
Si l'anecdote est véridique, je suppose que c'est le résultat de la conversion de la Défense nationale française aux crédos atlantistes.
A côté de ça dans le film Indigènes (diffusé sur nos écrans de TV hertzienne la semaine dernière) le réalisateur est incapable d'introduire les bonnes appellations des grades militaires dans les dialogues (un personnage appelle son supérieur "capitaine" au lieu de "mon capitaine" comme dans l'armée américaine, et les rapports entre officiers et militaires du rang sonnent complètement faux). La France ne sait plus quel langage parlaient ses militaires il y a 60 ans, et ses militaires, eux, parlent maintenant le langage de l'OTAN...