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La France carthaginoise
Pierre Leroux, communiste chrétien - quoiqu'hérétique, il croyait en la métempsyhcose (1797-1871) : "Je suis né vers le temps où la Convention luttait contre le négociantisme anglais, où Saint-Just dénonçait à tous les peuples de la terre la Carthage moderne. Et je vois la France carthaginoise, et le négociantisme au gouvernement, ou, comme on dit aujourd'hui, aux affaires !" (Malthus et les Economistes, 1849).
"Les droits de l'homme contre le peuple" de Jean-Louis Harouel
Je lisais hier "Les droits de l'homme contre le peuple", de Jean-Louis Harouel, professeur émérite de Panthéon Assas (un livre court et profond, publié en 2016, dont je vous conseille la lecture pendant la fêtes car il se lit très vite et très bien). Je suis loin d'être d'accord avec tout ce qui est dit. Notamment je pense que le livre surestime le "péril musulman" (même si, c'est vrai, il ne faut pas sousestimer la gravité de menaces que font peser sur notre civilisation des projets comme ceux des Frères Musulmans, trop creuser le fossé entre immigrés musulmans et autochtones chrétiens est une erreur dangereuse). Mais il nourrit une réflexion très intéressante sur les dangers de l'idéologie des droits de l'homme comme nouvelle forme de stalinisme. Il montre sur le plan philosophique que cette idéologie, comme toutes les doctrines de gauche (y compris le marxisme), s'enracine à la fois dans la Gnose (cette hérésie chrétienne qui divinise l'humanité) et dans le millénarisme (une philosophie de l'histoire qui veut préparer ici bas, notamment par la lutte contre les inégalités, le règne terrestre de mille ans du Christ), deux courants synthétisés par les prophéties de Joachim de Flore. C'est donc largement là du christianisme dévoyé qui ne retient du message messianique que l'amour et pas la justice, et qui, en ouvrant la possibilité d'un paradis terrestre dans l'avenir légitime l'amoralité, puisqu'on peut étouffer son prochain aujourd'hui au nom de ce futur Bien rédempteur qu'on se prépare à faire advenir.
Sur le plan juridique, ajoute Harouel, le droit-de-l'hommisme a connu un glissement en se transformant d'une idéologie de résistance à l'oppression étatique (ce qu'était déjà le christianisme sous l'Ancien régime), en une doctrine de lutte contre les discriminations. En empruntant cette voie, estime l'auteur, les droits de l'homme introduisent l'amour dans le droit, puisqu'il faut accorder toutes sortes de privilèges au ressortissant de la minorité au nom de l'amour qu'on lui doit (là où le christianisme, fidèle en cela au judaïsme de l'Ancien Testament situait seulement l'amour au niveau de la morale individuelle, tout en légitimant le système punitif légal nécessaire à la sauvegarde de la société). Cet amour obligatoire se nourrit en réalité d'une haine de soi-même, affirme Harouel, et, pour cette raison, porte en germe un suicide collectif de l'Occident. Et cette introduction de l'amour dans le droit, qui s'apparente à l'augustinisme de l'époque carolingienne (la volonté de l'Etat d'assumer une fonction spirituelle de rédemption des âmes, ce qui fait des ministres et des hauts fonctionnaires des prêtres) s'illustrerait notamment dans l'arrêt GISTI du Conseil d'Etat du 8 décembre 1978 imposant le regroupement familial des immigrés en France et non à l'étranger.
Un tel amour obligatoire du migrant va avec une indifférenciation totale de tous les êtres humains pris comme une abstraction (sans identité culturelle, sans genre etc), l'identité culturelle n'étant acceptée et valorisée que lorsqu'elle émane du minoritaire, lorsque celui-ci l'invoque à l'appui d'une revendication juridique qui lui permettra d'arracher quelques prébendes.
La thèse du professeur Harouel comporte beaucoup de biais inhérents à la pensée conservatrice qu'on est habitué de trouver dans beaucoup de pays riches. Je l'ai dit plus haut, elle force un peu le trait sur le péril musulman. Et elle exagère le thème de la "vertueuse civilisation européenne sommée de se suicider", en omettant que cette civilisation continue à commettre des crimes épouvantables (les politiques de changements de régimes au Proche Orient, la course insensée aux armements y compris dans l'espace, l'encerclement militaire de l'Eurasie, l'exploitation odieuse des matières premières dans les pays du Sud, le soutien à des régimes qui empêchent toute émancipation des peuples), crimes dont on ne peut rendre coupables les seuls banquiers de Wall Street (aujourd'hui ce sont les bons électeurs conservateurs partisans de Donald Trump qui ne lèvent pas le petit doigt pour permettre au peuple vénézuélien de respirer). De même la thèse est outrancière quand elle ne voit plus dans les droits de l'homme qu'une machine à détruire la culture européenne au profit des minorités comme si elle n'avait pas aussi conservé sa vocation à préserver (dans l'héritage du christianisme) l'individu face au pouvoir de l'arbitraire.
Cependant le livre de JL Hérouel a le mérite de montrer ce qu'une certaine élite cosmopolite (mondialiste), avec des gens - qu'il se garde bien de nommer car sa visée est plus philosophique que sociologique, mais c'est bien d'eux qu'il s'agit - comme Rockefeller, Rothschild et Soros, mais aussi les 30 % d'idiots utiles (bobos urbains) qui les soutiennent, veulent effectivement faire avec l'idéologie des droits de l'homme (et ils y parviennent largement au terme d'un patient travail de confiscation des médias, et des pouvoirs publics, notamment des instances judiciaires comme la cour européenne des droits de l'homme). C'est effectivement une entreprise de liquidation à grande échelle, profondément mortifère, et cynique, à laquelle se livre ce système au nom d'un idéal d'amour totalement dévoyé (on a déjà évoqué d'ailleurs toutes ces chansons, tous ces films, marqués par la sorcellerie et l'oeil d'Horus qui nous servent l'amour à toutes les sauces et nous imposent maintenant le confinement, le masque, la vaccination, le traçage, le transhumanisme, la haine de soi puissance dix et le "together at home/together as one" le plus totalitaire et destructeur qui soit au nom de cet "amour" antéchristique). Grâce à ce livre on comprend bien les origines spirituelles de la terrible gangrène universelle que nous subissons aujourd'hui.
On comprend aussi, au passage, un point auquel je songe depuis des années : que le christianisme ne peut pas être une doctrine politique, sauf une doctrine de résistance à l'oppression gouvernementale (la résistance à César). Les politiciens qui veulent vous vendre un programme inspiré par Jésus sont donc à fuir. De l'Etat (nécessairement voué à un contrôle partiel par Satan), on peut seulement attendre que, tout en assumant vaille que vaille son devoir de protection et de redistribution à l'égard de tous, il édicte des lois modérées sous le contrôle d'un peuple qui, par la prière et par l'intervention divine, se donne les moyens de le contraindre à se limiter dans son pouvoir de nuisance.
L'affaire Khashoggi, le livre de McGowan sur les hippies, la "main gauche" de la CIA, l'aveuglement de la gauche française
Il y a des choses mystérieuses dans le traitement de l'actualité. Par exemple celle-ci : quand un gouvernement exécute régulièrement ses opposants, méprise les femmes, réduit en esclavage ses bonnes philippines, pratique toutes sortes de turpitudes odieuses, finance les barbares l'Etat islamique et plonge dans la famine le peuple yéménite, ça ne fait réagir personne. Et puis, du jour au lendemain, parce qu'il coupe en morceaux un de ses journalistes dans son consulat à Istanbul, et alors même que celui qui nous fournit les informations à ce sujet est le fameux Erdogan qu'en principe personne n'apprécie dans la caste médiatique, tout le système de propagande s'enflamme et demande des sanctions... Quelle mouche les a piqués ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi sur cette affaire ? On ne peut s'empêcher de penser qu'il y a derrière cela quelque chose. Mais quoi ? Une alliance entre certains princes saoudiens et les puissants de ce monde pour se débarrasser d'un Ben Salmane devenu trop ambitieux et incontrôlable ? un rapport avec la tuerie de Las Vegas en octobre 2017 où les Saoudiens avaient quelques "biens" à l'hôtel Mandalay Bay...
En tout cas c'est un délice, une fois de plus, de voir "Monsieur 66,06 % euh pardon 66,1 %" alias Macron-le-petit, s'accrocher à l'idée que, non, décidément on ne suspendra pas les ventes d'armes à Riyad. Il faut continuer à écraser le Yémen coûte que coûte, et aider nos entreprises du CAC40.
En ce moment je lis "Weird scenes inside the Canyon" de David McGowan (éditions Headpress 2014) une enquête bigrement rigoureuse et décoiffante sur la "Silicon Valley" du mouvement hippie dans les années 1960 où se trouvaient réunis dans un périmètre de 4 km2 les principaux artistes de la scène pop des 60s américaine. McGowan pose toutes les questions dérangeantes. Non seulement pourquoi Jim Morrisson et ses pairs de l'époque étaient dans une si large proportion des fils d'officiers supérieurs de la marine et du monde du renseignement américain (le père de Morrisson est l'amiral qui a monté de toute pièce "l'incident de la baie du Tonkin" pour provoquer le bombardement massif du Nord Vietnam) ? Pourquoi eux qui se disaient anti-guerre n'ont-ils jamais critiqué publiquement les fonctions de leurs ascendants ? Pourquoi ces petits privilégiés qui étaient largement liés entre eux (avaient grandi dans les mêmes casernes etc) se sont-ils retrouvés précisément à cet endroit, à quelques encablures d'une base secrète américaine dont certains avaient les badges d'accès ? Pourquoi tous les décès suspects (certains avec des aspects de meurtres rituels) dans ce milieu là, où l'occultisme crowleysien était à la mode, et pourquoi l'absence d'enquêtes sérieuses de la police sur leur compte ? On est loin du "ex fan des sixties" apologétique de Birkin et Gainsbourg (il faudrait d'ailleurs s'interroger sur le rôle de propagandiste en France de ce compositeur qui aura propulsé dans le business hollywoodien et ses arcanes ésotériques des gens comme Vanessa Paradis ou sa propre fille Charlotte).
Comme le disent les commentateurs, ça paraît "complotiste", mais la méthode d'investigation de McGowan est on ne peut plus conventionnelle, archi-précise sur les faits, affrontant à chaque étape toutes les objections possibles. On en ressort avec l'idée que décidément, oui, il y a de fortes chances que le mouvement beatnik soit au moins en partie une opération de la CIA pour affaiblir le mouvement anti-guerre du Vietnam, qui, comme le souligne McGowan, à l'origine reposait sur des gens sérieux (des profs de fac, des étudiants travailleurs et pas du tout portés sur le LSD). Opération visant aussi à abrutir les gens avec des idéaux égocentriques creux - sexe, drogue et musique -. Je ne sais pas ce que valent les thèses comparables qui existent sur les Beatles ou d'autres phénomènes culturels de la même époque (il faut toujours se méfier des extrapolations), mais l'enquête de McGowan sur Laurel Canyon mérite qu'on s'y arrête.
Ce livre pose aussi une question intéressante en philosophie politique. Le sociologue Bourdieu nous avait appris à distinguer la "main gauche et la main droite" de l'Etat (en gros les services sociaux et les services répressifs). Quand on se penche sur l'histoire du complexe militaro-industriel américain (qui est en train de devenir l'histoire de notre gouvernement mondial en gestation), on se rend compte que main gauche et main droite se mélangent beaucoup. On sait que dans les années 1940, si l'URSS a pu bénéficier très vite de la technologie nucléaire c'est parce que savants communistes et officiers conservateurs américains travaillaient main dans la main à Los Alamos, si bien que les premiers ont pu exfiltrer des documents vers le KGB. Dans les années 50-60, c'est encore plus complexe. La CIA travaille avec d'anciens nazis, mais a aussi ses hommes à l'extrême gauche. Il y a sur le Net des témoignages de transfuges qui expliquent qu'ils manifestaient contre la guerre du Vietnam tout en travaillant pour la CIA. Souvenez vous aussi du témoignage de Kay Griggs sur les sociétés secrètes dans l'US Navy et les unités d' "opérations spéciales". Pour l'Etat profond américain tout est bon à prendre quand il s'agit de préserver les intérêts de la caste dirigeante. Et on voit bien qu'en misant sur l'industrie du divertissement, la musique, la liberté sexuelle - et depuis le plus jeune âge, voyez l'utilisation de Walt Disney ou de Playboy - c'est toute une stratégie de conditionnement polysémique et pluridimensionnelle qui est à l'oeuvre utilisant le bâton répressif (de droite) et la carotte hédoniste (de gauche). Et c'est encore le cas aujourd'hui : Soros et Kissinger (la gauche et la droite), le chanteur Marilyn Manson et le sénateur John McCain récemment décédé, malgré des différences de style, travaillent à la même cohérence oppressive. Et ce n'est pas qu'une complicité "dialectique" à un niveau très abstrait de réflexion : ça passe par une coopération pratique comme on la voyait déjà se dessiner dans le Laurel Canyon au cours des années 60. On n'est pas une simple reconversion hédoniste du capitalisme sous la houlette des publicitaires que repérait jadis Michel Glouscard. Il s'agit ici de programmes d'Etat, avec, derrière cela, des grandes familles qui se concertent pour les mener à bien.
La découverte de toutes ces choses sous la houlette de chercheurs indépendants, alors qu'Internet peine à en censurer la publication, explique en partie la méfiance croissante des gens à l'égard des artifices du clivage droite-gauche et la montée du populisme. Et évidemment, plus la gauche institutionnelle - du NPA au PS - fait l'autruche en refusant de traiter ces sujets là plus elle se disqualifie intellectuellement et moralement dans sa prétention à donner aux gens des clés d'émancipation. On ne peut pas prétendre aider les gens en ne voyant pas l'éléphant rose au milieu du couloir. On ne peut pas dire seulement "défendons les services publics" ou "donnons plus d'éducation populaire gratuite en renforçant nos écoles", si nos services publics, nos écoles, ne sont que les vecteurs d'un savoir pré-mâché dans des cercles restreints, destiné en réalité à conditionner les masses à l'hypnose consumériste (et même à un contrôle mental qui robotise l'individu). Apprendre aux enfants dans les écoles la musique classique pour qu'ils obtiennent un sens de l'harmonie, de la discipline intérieure et du perfectionnement, oui. Leur faire écouter les Beatles ou les Doors, des styles musicaux poussés par un système politique occidental qui cherche délibérément à les abrutir depuis 60 ans, c'est placer encore et toujours l'Etat français au services des banquiers. C'est "donner le dernier rire à Soros", comme disait le premier ministre hongrois... ou à Bill Gates, ou à la reine d'Angleterre, en tout cas, c'est nous ôter tout pouvoir réel sur nos vies.
Nils Andersson "Mémoire éclatée"
Souvenirs des rebellions
Nils Andersson est une autorité morale de la gauche française et suisse, proche de la mouvance du Monde Diplomatique, connu notamment pour avoir publié en 1958 dans la maison d’éditions qu’il dirigeait à l’époque « La Question » d’Henri Alleg.
L’ouvrage dans un style élégant et paisible promène le lecteur dans la Lausanne de l’enfance de l’auteur, dans la caserne de son service militaire en Suède (car il est né suédois et le restera toute sa vie)
Il commence par des témoignages intéressants sur la répression anti-communiste pendant la guerre froide. Il expose la manière dont l’auteur lui-même fut classé à gauche par la police helvétique à un moment où il n’était pas encore engagé, il évoque l’appel au lynchage d’un historien de l’art communiste après l’invasion soviétique en Hongrie, la chasse aux sorcières contre les participants suisses au VIe festival de la jeunesse suisse en 1957. La persécution que subit l’auteur dans le cadre de son soutien aux militants du FLN algérien et à leurs alliés français s’inscrit dans le prolongement logique de cette intolérance de la société bien-pensante qui était comme une chape de plomb sur la jeunesse de l’époque.
Sur la période de la guerre d’Algérie Nils Andersson apporte des éclairages concrets sur l’organisation de la résistance au colonialisme au quotidien, sur le positionnement de « porteurs de valises » comme Jeanson qu’il a bien connu à l’égard du PCF (qui avait voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement en 1956), l’action illégale de la police française en Suisse. Il rend justice au courage du peuple algérienne, à celui de la population musulmane qui, malgré la répression sauvage du 11 décembre 1960, tint en échec les manœuvres de de Gaulle pour isoler le FLN, au souvenir de Charonne. Intransigeant à l’encontre du colonialisme, il est malgré tout lucide sur les dérives du nationalisme algérien, dénonce l’abandon des idéaux du Congrès de Soummam (1956) qui intégrait les pieds-noirs à ce sujet, interroge le rôle de l’assassinat de Larbi Benmhidi dans le recul de cette ouverture qu’il avait incarnée. Cet effort de nuance est méritoire. Mais cependant peut-être un peu superficiel… Ecrire « la politique du lobby colonial et le racisme, ce sentiment banal qui fait de l’autre un bougnoule, sont responsables de cet exode [celui des pieds noirs] et non une volonté des Algériens de les chasser », c’est une façon pour le moins rapide de glisser sous le tapis les centaines d’Européens (une paille à côté des au moins 400 000 morts « musulmans » il est vrai, mais tous les morts ont droit à leur part de justice) enlevés, torturés et assassinés au lendemain de l’indépendance algérienne, dans le silence assourdissant des nouvelles autorités du pays comme du gouvernement gaulliste… et dans le silence des mémoires de Nils Andersson qui n’en dit mot et préfère se concentrer sur le fait que deux mille Français sont quand même restés en Algérie.
Le livre de Nils Andersson aborde aussi des aspects moins connus (en France) de l’histoire des idées, comme la création dans les années 60 de médias tiersmondistes ou l’élaboration qui lui est confiée (à travers sa maison d’éditions La Cité) de documents comme le Mémoradum aux chefs d’Etats africains sur la répression par la France du parti Sawaba au Niger, ses liens avec le MPLA angolais, avec le FRELIMO mozambicain, avec l’Union du Peuple du Cameroun , les lumumbistes congolais, le Parti démocratique du Kurdistan.
Après la rupture sino-soviétique du début des années 1960, Andersson a pris le parti de Mao dont il publie les textes. Ses contacts avec les mouvements du Tiers monde à travers la revue African Revolution et avec la Chine lui valent un harcèlement policier, puis une expulsion du territoire helvétique en 1966, ce qui fera de lui pendant cinq ans un résident de l’Albanie d’Enver Hoxha, chroniqueur de Radio Tirana et fournit à l’auteur l’occasion d’évoquer des anecdotes instructives sur ce petit « village gaulois » balkanique : qui peut supposer aujourd’hui qu’avec l’arrivée des chars soviétiques à Prague l’Albanie ait pu redouter une invasion de tous les Balkans occidentaux au point d’être prête à unir ses forces militaires à celles de Tito pour faire barrage aux Russes ? L’occasion aussi d’un plaidoyer très inactuel et intempestif pour un lecteur des années 2010 en faveur du régime hoxhiste. Plaidoyer par endroits convaincant bien que nuancé, convaincant parce que nuancé, par exemple quand il montre comment le parti communiste lorsque survient le tremblement de la région de Shköder, après avoir refusé l’aide étrangère, mobilise la population pour reconstruire les maisons des sans-abris et relève le défi en deux mois juste avant l’hiver, alors qu’en Italie voisine durant des années des sinistrés ont vécu sous des tentes. L’Albanie hoxhiste n’était pas la Corée du Nord (sans doute aussi pour des raisons culturelles antérieures au communisme) et les temps de pause dans les usines ne sont pas minutés. Les loyers sont maintenus bas parce que c’est un engagement à l’égard de la population, comme le blocage du prix du pain, même si à cause de cela l’Etat manque de ressources pour rénover les immeubles. Le lecteur lira avec intérêt l’analyse de Nils Andersson sur des questions cruciales pour le destin du peuple albanais comme le culte de la personnalité de son leader, ou les choix économiques occasionnés par l’obsession de l’isolement.
Comme tous les mémoires, ce livre est l’occasion de remettre les pendules à l’heure. Andersson y dénonce par exemple un mensonge d’Ismaïl Kadare à son encontre lorsque l’écrivain a obtenu l’asile politique en 1989. Il aurait pu pousser la mise au point jusqu’à condamner les outrances anti-yougoslaves de cet auteur dans son « Il a fallu ce deuil pour se retrouver » publié en janvier 2000 chez Fayard juste après le bombardement de la Serbie. Pourquoi alors qu’il cite sa contribution à « L’Europe et la prévention des risques et des conflits » dirigé par Robert Bussière en 2000, et « l’Appel pour une paix juste et durable dans les Balkans » lancé par Catherine Samary, ou des initiatives contre la guerre d’Irak dans les années 2000, Nils Andersson passe-t-il sous silence l’ouvrage « Atlas alternatif » que j’ai dirigé en 2006 (éditions le Temps des Cerises) pour lequel il avait fourni deux articles ? Il y aurait peut-être aussi là l’occasion d’une autre mise au point, sur les débats au sein des milieux anti-impérialistes depuis quinze ans, et l’existence du clivage Appel pour une paix juste/Appel de Bruxelles. Mais ce sera peut-être pour un autre livre.
En tout cas l’ouvrage de Nils Andersson mérite d’être lu. C’est une page de l’histoire de l’anti-colonialisme francophone qui y est écrite. Un legs utile pour les esprits rebelles des générations à venir.
Frédéric Delorca
Débats
J'ai tenté ce weekend d'écrire un mot sur les débats à coups de poings qu'on voit à l'extrême droite, sur tous ces gens qui font des vidéos sur You Tube pour un oui pour un non, pour commenter telle polémique, faire de la polémique à leur tour. J'ai fait un premier jet, puis je l'ai retiré. Difficile de trouver le temps de commenter sur un mode approprié ces choses à la fois dérisoires et cependant inquiétantes car on pressent car cela ne va faire qu'empirer. Tout cela est microcosmique, virtuel, des trucs de geeks, un peu comme cette manie qui scotche les jeunes Japonais à leurs mangas et les empêche de se marier et de se reproduire. L'abîme diabolique du virtuel.
Certains essaient de sortir de la spirale descendante en lisant quelques livres et en se constituant une doctrine. Effort méritoire, mais qui repose souvent sur peu de choses. Je songe à cet Etienne Chouard qui "découvrait" en direct devant ses auditeurs Rousseau et Alain, ou encore dix ans plus tard, aujourd'hui, ce Salim Laibi dont je regarde une ou deux vidéos sur le Net et qui ne jure que par "La Cité d'Isis", livre des années 70 dont il serait aisé de démontrer tout ce qu'il a d'outrancier et de faux. Ces gens ont du mérite d'essayer de lire un peu, mais ils ont le tort d'aller tout de suite parler sur le Net après la lecture du premier livre. Au lieu de passer modestement des années à potasser dans le silence et l'ingrate solitude des centaines d'ouvrages ! Cela stériliserait trop leur audace me dira-t-on. Mais s'ils n'en lisent pas 200 au moins qu'ils en lisent 30. Que celui qui veut ressortir Alain ou la Cité d'Isis prenne au moins le temps de lire 5 livres qui vont en sens inverse de sa nouvelle trouvaille. Ainsi ils n'égareront pas 20 000 ou 50 000 spectateurs de la vidéo, qui, encore moins portés sur la lecture qu'eux, boiront leurs paroles juste parce qu'ils semblent révéler des vérités cachées.
Mais je ne jette la pierre à personne, bien sûr. Chacun fait ce qu'il peut avec ce qu'il a. Et si les gens plus diplômés avaient eu le courage de ne pas cautionner les guerres néo-coloniales, de ne pas passer sous silence l'action des lobbies (franc-maçonnerie, labos pharmaceutiques etc), on ne s'en remettrait pas aujourd'hui avec autant de confiance aux demi-habiles, comme disait Pascal. Nous sommes tous coupables. Si Onfray dans son université populaire affrontait les sujets qu'abordent Etienne Chouart et Salim Laibi. S'il le faisait lui aussi avec plus de subtilité que son manichéisme égocentré, sans ses petites marottes libertaires athées à deux balles... Bref... passons.
Pendant ce temps Daech reprend Palmyre, la Turquie est au bord du gouffre, Trump nous prépare des cocktails invraisemblables (pro-russe, anti-chinois, une dose de Goldman Sachs, une dose de néo-conservatisme, une dose de patron d'Exxon Mobil pour neutraliser les précédents etc), et Macron fait des exercices de cordes vocales devant des salles combles, avec l'argent d'on ne sait qui... Tout va tout va tout va bien...
Quelques notes sur "Occident et Islam" de Youssef Hindi
L'histoire du sionisme connaît un regain de vitalité sur la place publique depuis un certain temps. Shlomo Sand en 2008 avait rappelé l'interdiction divine du retour en Israël par la force posée par Deutéronome 4:28 et par Ketouvot-Ketubot (en page 191 Sand omet la référence qui est Tractate Ketubot 110:82)
Sand citait pour seules exceptions de petites vagues de migration comme celle de Moshe ben Nahman Gerondi (ramban) au 13 e siècle et Yehuda Hahassid en 1700.
Hillard dans sa préface de Histoire secrète de l’oligarchie anglo-américaine (p. 9) citait un marrane espagnol (juif superficiellement converti au catholicisme), Joseph Nasi (1524-1579) devenu duc de Naxos élevé à la cour de la Sublime Porte et qui avait assez d’influence pour faire élire un souverain en Moldavie, chef d’un empire financer, joua un rôle dans l’indépendance hollandaise et responsable du premier retour juif en Palestine, ce qui soulignait le rôle du protestantisme hollandais.
L'historien marocain Youssef Hindi (à l'origine lancé par les soraliens) dans Occident et Islam tome I fait remonter le projet au delà du protestantisme aux origine mystiques de la kabbale (qu'il rapproche à mon sens un peu arbitrairement de la Gnose païenne en extrapolant une phrase de Gershom Scholem). Parcourons ce livre qui est en réalité principalement une vulgarisation de "Le messianisme juif" de Scholem, à laquelle nous ajouterons quelques remarques cursives avant d'exposer un jugement d'ensemble à son sujet.
Pour lui, la kabbale parce qu'elle prétend faire progresser l'humanité par paliers diffère de toutes les religions. Elle se développe au Proche-Orient puis entre en Europe au XIe siècle par la Provence et y prend un tour néo-platonicien. Au XIII e s elle se déplace à Gérone (Catalogne) où elle s'ancre dans l'ésotérisme. Moïse Nahmanide (1194-1270) - qui est le Moshe ben Nahman de Shlomo Sand - homme dont la mystique est très différente de celle des chrétiens puisqu'il valorise notamment la sexualité en application des préceptes de l'Ecclésiaste -, dans son Livre de la Rédemption pense qu'une repentance (techouva) extraordinaire peut hâter la venue du Messie. Dans une disputatio de 1263 il révèle son espoir qu'un jour le Messie demandera au Pape qu'il libère le peuple juif, le laisse repartir en Palestine, pour hâter la fin du monde (la venue du Messie pour Nahmanide était pour 1358). Comme Scholem l'a souligné les kabbalistes veulent judaïser les religions pour préparer leur soumission finale sous le règne du Messie.
10 ans avant la mort de Nahmanide, Abraham Aboulafia (né à Saragosse) à l'âge de 31, messie autoproclamé habité par des visions démoniaques quitte l'Espagne pour récupérer les tribus d'Israël perdues. Roland Goetschel dans "La Kaballe" (qsj) le qualifie de "plus grande figure de la Kabbale extatique" (par la combinaison des lettres). Marié en Grèce, il se rend à St Jean d'Acre puis renonce à prêcher en Palestine ravagée par les Mongols. Il retourne en Espagne étudier le Livre de la création (kabbalistique) et tente de maîtriser la magie que confère la connaissance du nom de Dieu. Selon Youssef Hindi, comme il cherchait à convaincre le pape Nicolas III de réaliser la prophétie de Nahmanide, le souverain pontife le fit emprisonner, mais mourut d'apoplexie le 22 août 1280, ce que le clergé interpréta comme un signe possible de magie noire et Aboulafia fut libéré (Goetschel note juste que la mort du pape permit sa libération p. 92). Mais d'autres versions disent qu'il résolut plutôt de convertir au judaïsme en 1281 le pape Martin IV (ce qui n'avait rien de surprenant puisqu'au même moment le prévot de Paris Hugues Aubriot s'était converti et menait une vie licencieuse avec des femmes juives) : "Il n'échappa au supplice du feu que parce Dieu, comme il le disait lui-même, lui avait donné deux bouches. Il voulait dire par là qu'il avait su se justifier devant le Pape ; peut-être affirma-t-il même au pape que lui aussi enseignait le dogme de la Trinité" écrit Graetz dans "Histoire des juifs, de l'époque du gaon Saadia (920) à l'époque de la réforme" p. 231. Il ne se serait proclamé Messie qu'ensuite en s'enfuyant en Sicile mais il aurait reçu fort peu de crédits (sauf deux visionnaires d'Espagne qui le crurent, mais les signes qu'ils donnèrent à la foule furent des plus décevants). On ne sait pas bien si la version de la mort d'Aboulafia que retient Youssef Hindi vient de Kappler et Grozelier qu'il cite juste avant ni pourquoi il la fait prévaloir sur celle de Graetz. Hindi en se fondant toujours sur Scholem souligne en tout cas que l'expulsion des Juifs d'Espagne par les rois catholiques poussera les kabbalistes à faire passer la venue du Messie (donc la fin du monde) avant le rapprochement avec Dieu.
Hindi cite encore Salomon Molcho ou Solomon Molkho (1500-1532), marrane du Portugal (mais pourquoi va-t-il chercher, pour aller plus loin que Scholem, la biographie sur le site du musée du judaïsme de la République tchèque, ne peut-on pas attendre d'un "historien" qu'il aille consulter de vais livres ?), disciple de David Ruveni qui obtint une autorisation du pape Clément VII pour prêcher en public la libération de la Palestine (le personnage inspira à Edmond Fleg une pièce en vers "Le Juif du Pape" jouée au Théâtre des Arts à Paris en 1925, détail qui sans doute indiffère l'auteur du livre mais je le signale quand même aux amateurs d'histoire littéraire, au delà de l'utilitarisme, d'autant que ce genre de détail peut s'avérer riche d'enseignements si on le recoupe avec d'autres). Selon Hindi Solomon Molcho ne serait rien d'autre que le "concepteur du projet sioniste"... ce qui est peut-être un peu excessif... Ensuite Joseph Nassi (1524-1579) marrane portugais réfugié en Hollande reprit le projet de Molcho à la cour de Soliman.
Après ce rappel Hindi reprend avec un brin de mépris ("le lecteur peut sourire en lisant ces passages de la Bible" p. 43 - sourire méprisant qui, on peut le supposer, justifiera chez le lecteur juif et chrétien le même sourire méprisant quand Hindi parlera de l'islam), les thèses bien connues des auditeurs sur You Tube du Rav Haim Dynovisz sur Jacob et Esaü, le royaume d'Edom face aux descendants d'Ismaël. (Il y a la même chose sur le Net chez le Rav Ron Chaya, mais dans une version plus favorable à Ismaël). Après une vulgarisation sur le livre de Daniel, Hindi revient à l'histoire moderne en braquant, avec Scholem, le projecteur sur Isaac Louria né à Jérusalem en 1534 (ou 1532 ?) qui dans l'ordre de la kabbale éclipsa même le Zohar par sa mystique de la lumière gnostique, qui depuis 1492 place le peuple juif au centre du destin de l'univers (mais cette lecture d'Hindi prisonnier de Scholem n'est-elle pas arbitraire ? n'y a t il pas déjà cela dans Rachi de Troyes par exemple et dans toute la tradition juive depuis la dispersion ?).
Les rabbins Isaac Bloch et Emile Lévy dans Histoire de la littérature juive d'après G. Karpelès 1901 p. 509 précisent que Louria aurait reçu des révélations du prophète Elie au bord du Nil, puis de Simon ben Yohaï, fondateur de la Kabbale, et enseigné à Safed (en Galilée, capitale spirituelle du judaïsme depuis 1530 où l'on pratique l'écriture automatique et la canalisation) où son disciple alchimiste Hayim Vital Calabrese (1543-1620) mit par écrit son enseignement oral. "La génération et la migration des âmes (gilgul) en est la doctrine essentielle" selon les deux auteurs. Ce serait un judaïsme ténébreux, peuplé de démons, opposé au judaïsme lumineux du Talmud. Selon Hindi, sur l'aspect qui intéresse le sionisme, Louria aurait tranché les controverses de la kabbale espagnole sur la question de savoir si le tiqqun messianique viendrait d'un coup ou progressivement par l'hypothèse d'une action de long terme du peuple juif sur l'humanité (p. 54). Ce serait selon Goetschel p. 118 (ça Hindi ne le dit pas, c'est moi qui l'ajoute) la face historique de ce qui, dans le monde spirituel, est la restauration du monde de l'Asiyyah à séparer définitivement du monde des écorces
Selon Hindi la Kabbale de Safed aurait surclassé celle d'Espagne en Palestine. Parallèlement le rabbin Menasseh Ben Israël, maître de Spinoza à Amsterdam rencontre en 1655 le "chrétien de l'Ancien Testament" et leader révolutionnaire Cromwell à Londres qui autorisera le retour des Juifs en Angleterre. Il précise qu'il ne souhaite pas le retour en Palestine tant que la dispersion annoncée dans Daniel 12:7 n'est pas achevée. M. Hindi cite au passage le rôle que le banquier juif Lopes Suasso allait jouer dans l'établissement de Guillaume III sur le trône d'Angleterre en se référant au livre d'Henry Méchoulan "Etre juif à Amsterdam au temps de Spinoza" p. 81, il emprunte aussi à cet historien les éléments sur la place du judaïsme dans l'essor de la banque anglaise.
A l'Est, dans l'Empire ottoman, Sabbataï Tsevi (ou Zewi) de Smyrne (né en Turquie en 1626), kabbaiste solitaire qui traverse des phases maniaques de possession, se proclame Messie. Après son apostasie, plus de 200 chefs de famile juifs devinrent musulmans. Le faux prophète Nathan de Gaza (qui allait effectuer des rituels secrets à Rome pour hâter la fin de l'Eglise), selon Scholem, allait justifier l'apostasie par le fait que Sabbataï Tsevi, vrai Messie était descendu dans la kelippah (l'écorce du mal) pour la restauration des étincelles de sainteté en la conquérant de l'intérieur. Par ailleurs Sabbataï Tsevi voulait un Etat juif en Bosnie. Des sabbataïstes faussement convertis, sous la houlette de Filosof et Florentin allaient former la secte des dönmehs qui allaient être nombreux chez les jeunes turcs en 1908, dont Ataturk qui eut lui même ensuite au moins rois ministres döhnmehs (Scholem p. 146). Dans ces groupes Jacob Frank (1726-1791) allait se dire réincarnation de Sabbataï Tsevi (p. 80). On est loin de l'ironie avec laquelle Voltaire traite dans le Dictionnaire philosophique (Folio p. 393) "Sabhathai-Sévi, né dans Alep" qui "s'associa un nommé Nathan-Lévi" et devnt "roi des rois", poussant "même l'insolence jusqu'à faire ôter de la liturgie juive le nom de l'empereur et à y faire substituer le sien". Selon Voltaire il a "si fort discrédité la profession de faux Messie que Sévi est le dernier qui ait paru".
En 1750 Jacob Leibowitsch dit Frank, né dans une famille d'Ukraine adepte de Sabbataï Tsevi s'installe à Smyrne. Il a 24 ans, se convertit à l'Islam, puis se rend sur la tombe de Nathan de Gaza à Skopje. En 1754 il s'autoproclame Messie à la suite d'une vision de Sabbaraï Tsevi. Puis il retourne en Ukraine (à Podolie) où des catholiques le rejoignirent.
Charles Novak a montré que Frank voulait tirer l'humanité vers le bas pour accélérer sa rédemption. Il se fait baptiser à Varsovie, reconnaît Jésus et la Trinité. Parrainé par Auguste III de Pologne il infiltre la noblesse européenne (par exemple Maurice Hauke ancêtre des Mountbatten). Novak Meyer Rothschild fut son trésorier.Comme les sabbataïstes allaient préparer la voie de la franc-maçonnerie et de la laïcité en Turquie, les frankistes oeuvrent à l'assouplissement du christianisme de l'intérieur selon Novak. Hindi inspiré par Novak en veut pour preuve (très contestable) le fait que Jean Paul II fut ordonné prêtre par l'archevêque de Cracovie descendant d'une famille frankiste. ll met dans ce panier aussi (p. 88) le judaïsme réformé de la famille Brandeis dont Louis, juge à la cour suprême américaine proche de Wilson qui joua un rôle dans l'entrée en guerre en 1917 et dans la déclaration de Balfour comme président de l'American Jewish Congress).
Hindi prend ses distances à l'égard de Novak et Sholem en estimant que Frank n'est pas en rupture avec la kabbale qui dès avant Louria selon lui misait sur la rédemption de Satan.
Pour Hindi, le nihilisme wahhabite (à l'origine du régime saoudien) est le pendant oriental du frankisme. Il reconnaît cependant que la filiation avec le sabbataïsme n'est pas prouvée et se fonde seulement sur Vernochet et Redissi pour estimer que le wahhabisme comme les Frères musulmans détruisent l'Islam.
Même flou dans le lien entre sabbataïsme et première loge maçonnique du Levant apparue à Smyrne en 1738. Le sultan Murad V qui régna en 1876 fut membre d'une loge, comme les Jeunes-Turcs. L'iranien chiite Malkun Khan, franc maçon, préparait une religion de l'humanité, et ses rituels maçons se rattachent à la kabbale et au sabbataïsme.Idem le panislamisme du maçon (selon Thierry Zarcone et Hamadi Redissi) iranien cosmopolite Jamal al-Dîn al-Afghani qui a écrit à Renan une lettre contre l'Islam et avait de l'Islam une vision "nationaliste" sécularisée progressiste. Hindi instruit le même procès contre Mohamed Abduh et d'autres réformateurs progressistes ou wahhabites, pour finir par Tarik Ramadan qu'il accuse d'avoir soutenu la guerre en Libye (ce qui est faux : il était contre Kadhafi, ce qui se comprend, mais n'approuvait pas la politique occidentale).
Pas sûr qu'il faille croire M. Hindi sur parole quand il affirme que le message diplomatique de M. Netanyahou au pape après sa démission puisse être lu en référence à l'eschatologie talmudique (p. 55).
- Notons aussi les fautes de frappe (un verbe convaincre mal conjugué au passé simple p. 33 un participe présent avec un "s" p. 38, "jugé négligeable pas accordé au sujet p. 42, point de vue sans e p. 56 etc.
Paul Morand, la littérature
Il y avait ce soir à la TV sur une chaine de la TNT une longue interview de Paul Morand. Je l'ai écoutée jusqu'au bout.
Je sais que des jeunes gens comme Romain ou Etienne qui m'ont fait l'amabilité de réagir à ce blog naguère ont apprécié que j'y parle d'auteurs du XXe siècle comme Gary ou Werth. J'ai peut-être mieux fait de faire cela que d'y parler de politique. Je ne sais pas...
Ce soir j'écoutais Morand comme on dialoguerait avec un extra-terrestre. J'ai tellement peu de points communs avec cet homme... et pourtant son monde m'a effleuré plusieurs fois dans ma vie. Le monde des peintres surréalistes, de Malraux, de Gide, de Proust. Je l'ai croisé au sortir de l'enfance, au début de ma vie d'adulte, au milieu. On ne sait pas pourquoi ce genre de chose vous atteint, s'éloigne de vous, puis revient à divers moments. On plaint ceux qui n'ont pas la chance de croiser cela sur leur route.
Le monde des surréalistes était encore présent en moi en 2012, je crois, à moins que ce ne fût 2013, à travers Soupault. Et puis l'oeuvre de Morand s'est invitée dans ma vie en 2014 à travers Hécate et ses chiens et à travers son journal de 1968-1970. C'est lui qui m'a donné envie de lire le journal de Simone de Beauvoir de la même époque. Je me demande si je n'ai pas connu Hécate et ses chiens après avoir lu un article du journaliste Labévière. 2014 était une année vraiment épouvantable pour moi et en même temps mêlée de révélations compliquées. Il était étrange que le roman de Morand soit arrivé là, car Hécate et ses chiens est un livre un peu diabolique. Juste un peu. Et cependant moi qui, après toutes mes découvertes, suis devenu allergique aux démons, je ne perçois pas de danger dans le monde de Morand. Peut-être suis je en cela trop naïf. Peut-être à cause de cette espèce d'humilité très sobre du personnage qu'on retrouvait dans son interview ce soir.
Peut-être à cause de son absence. Cet homme fut très présent à son époque, et en même temps tellement décalé, évanescent. Pas le genre de type qui vous embrigadera dans une légion criminelle. Il se sera beaucoup trompé, autant je pense quand il aimait Picasso, que quand il se résignait au pétainisme, ou quand il détesta De Gaulle. Mais il s'est trompé de façon intéressante, toujours, d'une façon bizarre, instructive. Peut-être à cause de son espèce d'absence de tout justement D'où ses phrases courtes dans l'interview, et le fait qu'il avoue ne pas aimer parler. Un point commun avec Deleuze.
J'ai la chance de ne pas être un écrivain, de n'avoir pas derrière moi une oeuvre, même si j'ai pondu un roman et quelques témoignages autobiographiques. Je peux donc aborder n'importe quel livre de façon parfaitement désintéressée, candide, désinvolte. Je n'ai même pas, à la différence des profs, à me poser dans le rôle du type "qui s'y connaît", qui doit transmettre, je ne suis même pas dans ce sérieux là. Je suis dans un sérieux, certes, mais un sérieux à moi, un sérieux lié à ma recherche incommunicable, incompréhensible par autrui, donc je tire des livres ce que je veux, j'en dis ce que bon me semble sur ces pages numériques ou ailleurs. Ca a de l'importance, et ça n'en a pas. Dans quelques semaines je serai pour quelques jours à Venise. Je ne l'ai pas choisi. Ca arrive comme ça, alors que Venise évoquait toujours pour moi Sollers et toute une imposture littéraire que je déteste. Une boursoufflure devrais je dire. La ville n'a-t-elle point elle même vécu du vol et de l'imposture depuis le Moyen-Age ? Pour m'y sentir moins seul, j'emmènerai le livre de Morand avec moi, "Venises". Dans l'interview de ce soir, il expliquait que Montaigne, Rousseau et bien d'autres génies ont écrit sur cette ville où lui même a rencontré mille célébrités. Je pense qu'à travers ce livre je retrouverai un peu du monde littéraire, et de l'univers des esthètes, qu'accaparé par ma recherche métaphysique depuis deux ans je néglige un peu trop. J'ignore si j'en parlerai sur ce blog. On verra bien.
Ai-je déjà parlé dans ce blog de Morand ? Je pense que oui. Qu'en ai-je dit ? Je ne sais plus. Est-ce que la littérature cela compte vraiment ou n'est-ce qu'un de ces pièges hédonistes de plus qui nous éloignent de la vérité ? Grave question. Platon voulait chasser les poètes de la Cité. A ma connaissance l'Israël biblique n'a pas eu d'écrivains, même à l'époque hellénistique des Macchabées. Il en a eu un avec Flavius Josèphe, mais ce n'était plus l'époque biblique, en tout cas plus celle de l'Ancien Testament. Il faudrait que je vous parle de Josèphe d'ailleurs car j'ai lu trois chapitres de son récit des guerres juives il y a peu. Passons. Oui, les peuples qui se confrontent sérieusement à la vérité ne pratiquent pas la littérature. Cependant l'auteur de l'Ecclésiaste ou celui du Cantique des cantiques ne sont-ils pas des écrivains ? Le style nous éloigne de la vérité, mais comment peut-il y avoir une vérité sans style ? Surtout une vérité pratique, au quotidien. Comment puis-je manger une pomme avec une certaine vérité dans ma façon d'être si je n'ai pas un regard littéraire sur elle, et sur ma façon de la prendre en main ? Je ne sais pas trop comment vous expliquer cela, mais je crois qu'il y a là un "vrai sujet" comme eût dit un de mes collègues.
Donc il se peut que vous tombiez encore sur des lignes sur Morand, en parcourant ce blog, dans les mois à venir, et sur des lignes sur Venise. Sauf si je me persuade de ce que je perds mon temps à aborder ces sujets là...
Pierre Jacquemain, Ils ont tué la gauche, Fayard 2016
La guerre des gauches
Après la mobilisation sociale contre la loi El-Khomri au premier semestre de cette année, beaucoup de militants de gauche ont dû attendre avec intérêt la publication de ce témoignage de Pierre Jacquemain, qui fut au cabinet de cette la ministre du travail Myriam El-Khomri et sut claquer la porte à temps pour ne pas être associé à cette modification du code du travail qui passe pour une des plus grandes trahisons de l’électorat de gauche par François Hollande et Manuel Valls. Beaucoup s’y intéresseront, mais beaucoup seront aussi déçus.
Car, si l’on pourrait croire que Pierre Jacquemain fut aux premières loges de la mécanique infernale qui transforma le projet de loi « progressiste » en diktat néolibéral, en réalité il s’y trouva comme Fabrice à Waterloo… et ne vit donc pas grand-chose. De la fumée, des coups de feux. Il raconte ainsi seulement à grands traits ce que la presse nous avait déjà dit. Comment la réforme, mal enclenchée en partant d’un rapport de JD Combrexelle, qui avait été l’homme fort du ministère du travail à l’époque de Sarkozy, a été confisquée par un comité Badinter (le bilan politique de Robert Badinter étant ce qu’on sait depuis la guerre de Yougoslavie…) et par Emmanuel Macron qui y insuffla tout ce que le patronat souhaitait, sans même que la ministre du travail eût son mot à dire. L’auteur ne peut rien nous dire de ce qui se disait entre les véritables décideurs – Valls, Macron, Gattaz –, parce qu’il n’y était pas, son cabinet n’étant même pas destinataire d’une copie du projet de loi avant son examen par le Conseil d’Etat. Il n’était d’ailleurs même plus dans la confidence de son directeur de cabinet, qu’il accuse de s’être vendu au point de vue des néo-libéraux et avec qui il a échangé moins de 10 mails en six mois.
Dès lors, le livre doit se rabattre sur des éléments assez anecdotiques comme l’organisation d’un « team building » avec weekend gastronomie et karaoké avec sa ministre (encore doit-il avouer que son éditeur l’a censuré à ce sujet), et des considérations idéologiques assez convenues sur le règne de la technocratie et des experts, le monolithisme des médias, la médiocrité des politiques, la dictature de la com’, l’absence du peuple, et la marginalisation des intellectuels critiques. Rien de nouveau sous le soleil, sauf des marqueurs identitaires : l’éloge de la Nuit Debout, la mention des sujets fétiches de la revue de Clémentine Autain Regards dont l’auteur est rédacteur en chef adjoint, l’invocation des mânes du sociologue Pierre Bourdieu cité plusieurs fois, encensé, même dans ses propos les moins scientifiques et les plus contestables – notamment lorsqu’il prétend déduire la dérive « droitière » de Hollande et Royal de leur habitus familial et scolaire, mais Fidel Castro et Ernesto Che Guevara n’avaient pas des origines moins bourgeoises…
Néanmoins, par delà les tentatives de théorisation maladroites, souvent formulées dans un style oral à la limite de l’incorrection (« le taux n’a que très sensiblement évolué » p. 107, « c’est la gauche qui est en responsabilités » p. 112 « le monde se fout de savoir si Myriam El Khomri connaît le code du travail » p. 154), il y a quelque chose d’humainement poignant dans ce face à face amer entre le collaborateur de cabinet engagé et la jeune ministre du travail, Myriam El-Khomri, en laquelle il a cru parce qu’elle avait été une élue de terrain, une femme vraiment de gauche, et qui semble avoir abandonné toutes ses convictions sur un claquement de doigts du premier ministre, parce que le système usait savamment sur elle à la fois de la peur et de la flatterie. En d’autres temps on en eût fait un roman.
Et puis, à défaut de constituer un document historique d’importance, le livre a surtout la valeur d’un acte militant. C’est une pierre que, depuis le rivage de la gauche de la gauche, Pierre Jacquemain lance dans le marécage social-libéral, une étape dans la guerre des gauches, « pour ne pas désespérer Billancourt », pour ne pas laisser la société française s’ « ubériser ». « Parce que la gauche est vivante », conclut l’auteur… malgré les coups de poignard dans le dos…
Frédéric Delorca